Christian Levrat, le président du Parti socialiste, et Roger Nordmann, le chef du groupe parlementaire, ont passé un mauvais quart d’heure, samedi en fin d’après-midi, à l’assemblée des délégués. Les dirigeants du PS n’ont pas réussi à convaincre leurs troupes réunies à La Chaux-de-Fonds de la pertinence de leur dernière idée europhile: la participation de la Suisse, à moyen terme, à un «EEE 2.0».

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La majorité des délégués a préféré repousser la discussion à plus tard, lors du Congrès de décembre. A ce moment-là, la situation sera plus claire, à la fois au sein de l’Union européenne (UE) qui connaîtra la décision des Britanniques sur le Brexit, et en Suisse, où les Chambres auront avancé sur les propositions du Conseil fédéral de clause de sauvegarde. La manière dont l’initiative de l’UDC sera mise en œuvre devrait aussi être plus nette: les négociations avec Bruxelles, bloquées jusqu’au résultat du vote britannique, auront repris si le Royaume-Uni reste dans l’UE.

Deux désaveux

Proposition phare de la feuille de route détaillant la politique européenne du PS, l’EEE bis n’a pas trouvé grâce aux yeux des délégués: après un débat nourri, ils ont donc désavoué leur direction. Le scénario s’est rejoué un peu plus tard. A une voix près, ils ont décidé de soutenir le référendum contre la loi sur la surveillance des communications par poste et Internet; jusqu’ici, seuls les Verts avaient annoncé soutenir ce combat lancé par des partis de jeunes au nom de la protection des libertés et de la sphère privée.


«C’est une défaite car nous voulions une décision claire qui fixe un cap», admet Roger Nordmann. Dans son discours, Christian Levrat avait appelé à «offrir des perspectives» allant au-delà des bilatérales, à «paver la voie à plus long terme», à «donner un signal clair à la population». Décrit comme un nouvel accord multilatéral entre la Suisse et l’UE qui remplacerait la multitude d’accords bilatéraux existants, l’EEE 2.0 se veut une étape intermédiaire avant l’adhésion. Le concept permet d’éloigner un peu plus ce but qui reste inscrit comme un objectif à long terme bien qu’étant considéré comme irréaliste pour l’instant.

Le comité directeur n’a convaincu ni sur la forme, ni probablement sur le fond. Le report d’une décision sur l’EEE 2.0 a été demandé par la section neuchâteloise: elle estime n’avoir pas eu suffisamment de temps pour se prononcer. Ses représentants ont exigé un débat démocratique approfondi. Cet avis a trouvé le soutien des euro-sceptiques et des attentistes. Le conseiller national et ancien ambassadeur Tim Guldimann a ainsi estimé que décider «aujourd’hui sur un nouvel EEE, c’est une illusion. L’UE ne va pas rouvrir le dossier et rediscuter avec la Suisse de ce sujet. Aujourd’hui, la priorité, c’est de sauver les bilatérales».

Pour la section neuchâteloise, discuter d’EEE bis revient à «faire de la sculpture sur nuages». Autant dire que le concept semble illusoire. Le ton général de la feuille de route a d’ailleurs été contesté par nombre de délégués. Ils l’ont trouvé trop élogieuse envers l’UE, trop peu critique envers la «politique néolibérale» menée par Bruxelles. Les Jeunes socialistes ont réclamé une «image non romantisée» de l’Europe en crise. Pas moins de 37 amendements ont été proposés.

Néanmoins, plusieurs points de la feuille de route ont été acceptés, comme le refus de la clause de sauvegarde unilatérale proposée par le Conseil fédéral, le soutien à un futur accord institutionnel, ainsi que le principe lointain de l’adhésion.

Discours offensif

La journée avait pourtant bien commencé pour Christian Levrat. Dans un discours combatif très applaudi, il a appelé à la résistance contre la politique menée par la droite, parvenue depuis les élections de l’automne dernier «à augmenter les crédits de l’armée, de l’agriculture et des routes, et à baisser en parallèle ceux de la formation, de l’aide au développement, ainsi que celui destiné aux subventions des primes d’assurance maladie».

Le Fribourgeois s’en est également pris au ministre des Finances UDC pour ses commentaires sur les sociétés offshore après les révélations des Panama Papers: «Ueli Maurer récite l’évangile des tricheurs», a-t-il taclé. Quant à la RIE3, il propose de l’attaquer par référendum. Critique de la droite, de l’armée, de l’évasion fiscale, de la baisse de la fiscalité pour les sociétés: autant de thèmes qui fédèrent bien plus que la politique européenne.


Hallali contre le revenu de base

Les délégués du parti recommandent le non le 5 juin prochain: ils considèrent que l’initiative met en danger l’Etat social

En assemblée, les délégués se sont également prononcés sur les objets soumis au vote le 5 juin. Deux sujets à dimension philosophique divisent les socialistes: l’initiative pour un revenu de base inconditionnel (RBI) et la modification de la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée qui définit les conditions d’utilisation du diagnostic préimplantatoire (DPI).

Le revenu de base a donné lieu à un débat nourri, au terme duquel les délégués ont suivi par 117 voix contre 68 l’avis de leurs dirigeants: ils appellent à le rejeter. «Cette initiative est dangereuse, a résumé Géraldine Savary, vice-présidente du parti. Elle n’a rien d’une utopie sympathique, mais représente au contraire une contre-réforme qui menace de manière directe ce que nous avons construit depuis des décennies.»

C’est l’argument principal contre le RBI: en l’état, l’acceptation de l’initiative qui ne définit pas la manière de financer le revenu de base représenterait «une carte blanche laissée à la droite majoritaire au parlement pour remettre en question nos assurances sociales et les acquis sociaux, ce serait un blanc-seing donné aux patrons pour baisser les salaires et augmenter la précarité», a plaidé le conseiller national valaisan Mathias Reynard. Certes l’idée est séduisante, «nous sommes aussi contre l’exclusion, la précarité, le chômage, mais nous devons nous battre autrement pour la valeur du travail, de justes rétributions et l’amélioration des conditions de travail», argumente-t-il. Pour les syndicats comme pour les travailleurs sociaux, le montant évoqué de 2500 francs ne suffit pas pour mener une existence digne.

Les Verts soutiennent le RBI

Emmenés par la section genevoise, les partisans du RBI ont en vain plaidé pour ce pas «vers l’émancipation du genre humain». Un revenu de base «libère les individus de la soumission à des conditions de travail et des salaires indignes», lance Julien Dubouchet. Il permettrait d’en finir avec les «catégories stigmatisantes» entre ceux qui sont considérés comme «productifs» et ceux qui ne le sont pas (les femmes au foyer, les bénévoles, les personnes à l’AI ou à l’aide sociale). Si le Genevois n’a pas été prophète en son pays, les délégués des Verts, également réunis samedi en assemblée, ont eux décidé de soutenir le RBI.

Sur le DPI, les socialistes ont choisi de laisser la liberté de vote, le choix étant jugé «plus personnel que politique». Plus confiant envers le progrès que représente le DPI pour les couples porteurs de maladie grave qu’envers les risques de dérive, le conseiller national fribourgeois Jean-François Steiert a défendu le oui. Membre du comité interpartis contre le DPI, Mathias Reynard, a plaidé pour le non, inquiet des dérives possibles, des risques d’eugénisme et des répercussions sur le regard porté sur les personnes handicapées. Les Verts ont fait le même choix de la liberté de vote.

S’agissant de l’asile, les délégués du PS recommandent clairement le oui, suivant les avis de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga et du comité directeur, pour qui la nouvelle procédure sera plus efficace et plus humaine. Pas d’intenses débats non plus sur les initiatives «En faveur du service public» et «Pour un financement équitable des transports», massivement rejetées.


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