Le «délit politique» signe son retour en Suisse
Justice
A moins de dix jours du vote sur la loi antiterrorisme, les perquisitions de trois activistes climatiques suscitent un important émoi. Accusé d’ouvrir la porte à des décisions arbitraires, le projet législatif nourrit des craintes grandissantes, à gauche comme à droite

Ce vendredi, une cage se dressait au milieu de la place Fédérale. A l’intérieur, une militante de la Jeunesse socialiste suisse (JSS). L’action, indique cette dernière, a pour but d’«attirer l’attention sur les violations des droits fondamentaux dont sont menacées les personnes en Suisse si la loi contre le terrorisme devait être acceptée».
Un danger réel, alerte la JSS, «comme nous l’a montré la répression massive que des militants et militantes du climat ont subie la semaine dernière dans le canton de Vaud».
Alors que les derniers sondages semblaient enterrer tout doute quant à l’acceptation du projet, trois perquisitions récentes ont relancé le débat en raison de leur similarité avec l’inquiétude formulée par le comité référendaire dès le début de la campagne: voir des militants climatiques visés par une large définition du «terrorisme».
«Incitation à la violation des devoirs militaires»
Rappelons les faits: le 26 mai, dans le canton de Vaud, trois grévistes du climat recevaient dès le potron-minet la visite de Fedpol. Mandatée par le Ministère public de la Confédération (MPC), et avec l’autorisation personnelle de la ministre de la Justice, Karin Keller-Sutter, la police fédérale confisque ordinateurs et téléphones portables. Une interrogation au poste de plusieurs heures s’ensuit.
La raison de ces descentes policières, explique Fedpol dans un communiqué paru jeudi: «L’ouverture d’une procédure pour soupçon de provocation et incitation à la violation des devoirs militaires. Une infraction considérée comme un délit politique, poursuivie d’office.» En mai 2020, alors que les troupes sont mobilisées pour lutter contre le covid, les sections Grève du climat Vaud et Genève publient une lettre ouverte appelant au boycott de l’armée. Conseiller national UDC (VS), Jean-Luc Addor interpelle le Conseil fédéral, qui ne juge pas utile d’intervenir. Le politicien dénonce alors les grévistes au MPC, qui donne suite.
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L’incitation à la violation des devoirs militaires? «Cette infraction est une relique de la guerre froide», fustige Josef Lang, figure historique du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA). En 1975, il avait lui-même été condamné à 4 mois de prison avec sursis pour la rédaction d’un texte jugé illégal paru dans une revue contestataire. Son procès avait suscité l’intervention de la maison mère d’Amnesty International. Près de cinquante ans plus tard, le militant dénonce ce qu’il considère être «des perquisitions politiques extrêmement graves». Aucune décision n’a encore été prise quant à l’organisation d’une manifestation, «mais le GSsA est défié», prévient-il.
Une semaine d’avant votation qui pourrait être agitée
La Jeunesse socialiste suisse a protesté ce vendredi sur la place Fédérale avec le soutien de ses aînés: la session fédérale de juin battant son plein, des clarifications sur ces perquisitions ont été demandées par plusieurs élus au Conseil fédéral, qui devrait y répondre la semaine prochaine.
Membre du groupe parlementaire des Verts, la conseillère nationale genevoise Stéfanie Prezioso (Ensemble à Gauche) prévoit ainsi de demander si émettre un avis politique sur l’armée peut constituer un délit, ou encore «si des fichiers de militant-e-s sont à nouveau tenus». A quelques jours d’une votation dont le contenu a été dénoncé par cinq rapporteurs spéciaux de l’ONU – qui ont mis en garde contre ses «risques d’ingérences excessives et arbitraires dans les droits de l’homme» –, la réponse de l’exécutif sera certainement scrutée.
Notons encore que si le camp bourgeois continue de soutenir le projet, certaines fissures apparaissent dans ses rangs. Samedi dernier, la branche cantonale de l’UDC de Glaris, l’un des cantons les plus conservateurs du pays, a ainsi résolu de prendre le contre-pied de son parti sur le sujet. Motif invoqué: les nouveaux amendements législatifs confèrent trop de pouvoir à l’Etat et pourraient ouvrir la porte à des «décisions arbitraires».