Est-ce de guerre lasse, par gain de paix ou par souci tactique? Il y a un peu de tout ça dans la décision surprise du Conseil national. Par 126 voix contre 46, il a accepté mardi une motion de Lukas Reimann (UDC/SG) qui demande le retrait de la demande d'adhésion à l'UE. Pour être sûr que sa proposition soit traitée, Lukas Reimann a déposé une motion d'ordre, qui a été acceptée.
La demande d'adhésion? Elle date d'une autre ère. Adressée au président du Conseil des Communautés européennes Joao de Deus Pinheiro le 20 mai 1992, signée par le président de la Confédération René Felber, elle disait ceci: «Le gouvernement suisse a l'honneur de demander, par la présente, l'adhésion de la Confédération suisse à la Communauté économique européenne en application de l'article 237 du Traité instituant la Communauté économique européenne, c'est-à-dire l'ouverture de négociations à ce sujet».
Le refus de 1992
On connaît la suite: à peine six mois plus tard, le 6 décembre 1992, le peuple et les cantons ont refusé d'entrer dans l'Espace économique européen (EEE), ce qui rendait de facto caduque la demande d'adhésion à la CEE, ensemble politique plus vaste qui porte le nom d'Union européenne depuis 1993. Mais le Conseil fédéral a toujours refusé de la retirer formellement.
Tous les deux ans environ, l'UDC revient à la charge pour réclamer l'annulation de la lettre de 1992. A chaque fois, le Conseil fédéral a répondu que cela ne servait à rien, car la requête était devenue «sans objet» et l'UE ne mentionnait pas la Suisse parmi les pays candidats ou ayant l'intention de l'être. A chaque fois, le parlement a fait la sourde oreille, partageant l'approche du gouvernement.
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Trois ans après son oncle Maximilian, également conseiller national UDC, Lukas Reimann a déposé une énième demande de retrait le 21 mars 2014. Dans sa réponse, datée du 21 mai 2014, le Conseil fédéral réitérait ce qu'il avait répondu à chaque nouvel assaut de l'UDC. Faute d'être traitée dans un délai de deux ans, la motion risquait de mourir de sa belle mort dans trois semaines. Lukas Reimann a donc demandé par motion d'ordre qu'elle soit votée. Il a obtenu gain de cause.
Une adoption surprise
Dans la foulée, une nette majorité, composée de l'UDC mais aussi du PLR, du PDC, du Parti bourgeois-démocratique (PBD) et de voix éparses vertes et vert'libérales, a accepté sa motion. «C'est une surprise et une grande joie. Les partis bourgeois ont tenu leur promesse. Avant les élections, le PLR et le PDC avaient dit qu'ils soutiendraient ma motion. C'est un signe important: la Suisse ne sera jamais membre de l'UE», réagit Lukas Reimann, par ailleurs président de l'Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN).
Mais il y a beaucoup de tactique dans ce vote. Déjà, de la part du conseiller fédéral Didier Burkhalter. Le ministre des Affaires étrangères a rappelé la position du Conseil fédéral. «La Suisse n'est pas candidate à l'adhésion à l'UE, n'est pas considérée comme telle et ne se comporte pas comme telle. Sur la liste et la carte officielles, la Suisse n'est pas un pays candidat. Nous ne sommes pas non plus sur la liste des candidats dits potentiels, soit la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. Nous sommes en blanc, blanc comme neige, blanc comme la Russie, la Norvège ou l'Islande», ironise-t-il.
«On assassine un cadavre»
Mais, contrairement aux épisodes précédents, il n'a pas invité les membres du Conseil national à rejeter la motion de Lukas Reimann. Il leur a dit qu'ils avaient le «choix entre continuer de dire non pour des raisons formelles ou dire oui pour en finir avec ce faux débat inutile. Je vous propose de dire oui, comme cela la question sera traitée».
Il y a aussi de la tactique de la part des adversaires de l'UDC. Si Lukas Reimann qualifie le vote de mardi de «symbole fort de l'indépendance du pays en vue des négociations à venir», d'autres se frottent les mains et pensent avoir joué un bon tour à l'UDC. «Cette motion assassine un cadavre. Mais il y aura un bénéfice collatéral: l'UDC ne pourra plus accuser les autorités d'être dans un processus permanent d'adhésion rampante à l'UE, puisque le Conseil national demande le retrait formel de la demande de 1992», analyse François Cherix, coprésident du Nouveau mouvement européen de Suisse (Nomes).
Selon lui, cela donne un atout au Conseil fédéral pour les discussions à venir sur la mise en œuvre de l'initiative sur l'immigration et d'un possible accord sur les questions institutionnelles. Le vote du Conseil national indique, par un message adressé à l'UE mais aussi à l'UDC elle-même, que la Suisse veut s'en tenir à la voie bilatérale. Reculer pour mieux sauter. Comme les moutons.