Cet article fait partie de l'édition spéciale «Les femmes font Le Temps», écrite par une cinquantaine de femmes remarquables, et publiée lundi 6 mars 2017.

En France et en Allemagne, les élections nationales approchent. Ces grands rendez-vous démocratiques font, pour nombre d’électeurs et d’observateurs, l’objet de suspicions. Il en découle une forme de fatigue démocratique qui favorise l’essor du populisme et de l’abstentionnisme. Comment l’expliquer?

Pour Yves Charles Zarka, professeur de philosophie à l’Université Paris-Descartes-Sorbonne, l’accélération du rythme du monde et la lenteur du processus démocratique en seraient les causes: «La démocratie suppose le temps, le privilège de la raison, la capacité à déterminer le bien commun au-delà de la prochaine échéance électorale. Mais cela, la démocratie dégradée en technicisation biaisée du pouvoir, d’une part, et sollicitation des humeurs du peuple, d’autre part, en est incapable.» [1] Sommes-nous vraiment face à une crise de la démocratie? On n’a pourtant jamais autant publié d’ouvrages ou de blogs fourmillant de propositions pour «rénover», «redynamiser» ou «hacker» nos démocraties. Petit tour d’horizon.

Elire au hasard?

Selon David Van Reybrouck, auteur d’un tonitruant Contre les élections, «nous avons réduit la démocratie à une démocratie représentative et la démocratie représentative à des élections». Or, selon Nicolas Grimaldi, «si chaque citoyen est détenteur de la souveraineté nationale, pourquoi ne tirerait-on pas au sort ceux qui auraient, pour une législature, la charge de représenter les autres»? [2] Les Athéniens, quelques cantons suisses et les cités italiennes ont connu de telles pratiques par le passé. En Suisse, ce principe est défendu notamment par Génération Nomination, une association créée en 2015, qui y voit la garantie d’une meilleure représentativité des citoyens dans les organes dirigeants.

Derrière les termes de «démocratie digitale», de «cyberdémocratie» ou d’«e-démocratie», on trouve une myriade de propositions reposant sur la civic tech, soit l’ensemble des applications ou technologies qui favorisent l’expression démocratique, plus instantanée, plus rapide et plus participative. Selon Matthias Lecoq, fondateur de la Fabrique de l’espace, «proposer, débattre ou voter devient ainsi accessible au plus grand nombre et permet la mise en place de processus collaboratifs à grande échelle».

Nécessaire évolution

Récemment, Pierre Rosanvallon décrétait, dans Le Bon Gouvernement: «Nos régimes peuvent être dits démocratiques, mais nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement. C’est le grand hiatus qui nourrit le désenchantement et le désarroi contemporain.» Blocage des institutions, stérilisation et neutralisation du débat seraient autant de signes avant-coureurs du passage d’un pouvoir par et pour le peuple (démo-cratie) à une «a-cratie», par renoncement délibéré ou par incapacité à exercer le pouvoir.

Mais pour la philosophe Cynthia Fleury, auteur des Pathologies de la démocratie: «Il n’y a pas de fatalité, et l’idée d’un déclin ou d’un crépuscule de la démocratie demeure un cliché dont il faut décidément s’extraire; le défi que tout régime politique doit relever est celui de la cohérence.» Cohérence entre le discours démocratique et le régime dont il doit découler. Pour que cette adéquation soit obtenue, il faut engager le débat pour faire évoluer notre démocratie.


[1] Yves Charles Zarka (2016), Métamorphoses du monstre politique, p. 117.
[2] Nicolas Grimaldi (2014), Le Crépuscule de la démocratie, p. 116.