Le dépistage systématique du cancer du sein remis en question
Santé publique
Le canton de Berne pourrait interrompre son programme pilote de mammographies pour toutes les femmes de 50 ans et plus. Une décision controversée

Le dépistage du cancer du sein fait une fois de plus polémique. Une toute récente décision du canton de Berne relance le clivage entre deux groupes de cantons, ceux qui ont un programme de dépistage systématique (tous les cantons latins, ainsi que Berne, Bâle-Ville, Saint-Gall, les Grisons et la Thurgovie), et ceux qui n’en veulent pas.
Berne avait rejoint en 2012 les cantons qui invitent systématiquement toutes les femmes de 50 ans et plus à faire une mammographie (exemptée de la franchise, donc pour un coût entre 18 et 20 francs). Mais, cinq ans à peine après cette décision, le médecin cantonal, Jan von Overbeck, envisage de suspendre le programme et, en tout cas, d’en attribuer la gestion au secteur privé.
Un taux de participation trop bas
La raison? Actuellement, le dépistage est assuré par la Ligue bernoise contre le cancer. Or, constate Jan von Overbeck, «seules 34% des femmes concernées viennent se faire dépister. Cela a des conséquences sur la qualité du programme, qui ne pourra pas à long terme être autonome financièrement.» Le médecin cantonal explique un taux de participation si bas par la forte concurrence de l’offre privée dans le canton.
«Je ne vois pas pourquoi le canton est chargé de ce programme, poursuit Jan von Overbeck. En nous tournant vers un prestataire privé, nous espérons assurer un taux élevé de participation et une évaluation rapide des cas suspects.» Les gynécologues et les radiologues pourraient donc eux-mêmes mettre sur pied un programme de dépistage. «Les tarifs de ces prestations sont profitables, précise le médecin cantonal, avec un soutien de départ par l’Etat, le programme serait autonome.»
Un programme pilote d’au moins huit ans
Berne décidera fin août si le programme continue et, le cas échéant, qui sera le nouveau prestataire. Ce possible changement de cap interpelle Rose-Marie Rittener, vice-présidente de Swiss Cancer Screening, le regroupement de tous les programmes cantonaux: «Nous regrettons cette évaluation intermédiaire. Il est recommandé que le programme dure au moins huit ans pour évaluer correctement les résultats», explique-t-elle en se référant à l’ordonnance fédérale en la matière.
Quant à la possibilité d’un prestataire privé, Rose-Marie Rittener est dubitative: «Ce n’est pas la mission des radiologues de conduire des programmes de santé publique. Ils ne sont pas payés par les caisses maladie pour envoyer des courriers d’invitation aux femmes et faire des brochures d’information.»
Vaud et Fribourg convaincus
Berne risque-t-il par son choix d’ébranler les autres cantons membres? Ainsi qu’il l’indiquait à la radio alémanique, le médecin cantonal de Soleure n’est plus sûr de vouloir mettre sur pied le programme cantonal envisagé. Mais rien n’est encore décidé. Dans le canton de Vaud, où le programme existe depuis 1999, aucune hésitation: «Nous avons un taux de participation élevé (59%). Nous évaluons le programme en permanence et nous restons pour l’instant convaincus qu’il est utile», juge Jean-Paul Jeanneret, chef adjoint du Service cantonal de la santé publique.
A Fribourg, c’est l’étonnement: «Berne a rejoint la liste depuis peu. Avec le temps, le taux de participation et la qualité du programme augmentent», estime le médecin cantonal, Chung-Yol Lee. Le centre de dépistage du cancer du sein de Fribourg enregistre un taux de 61%, après douze ans de programme.
«Nous n’aurons pas le contrôle, ce ne sera pas meilleur marché»
Le financement privé présente aussi des désavantages, selon le Dr Chung-Yol Lee. «Nous n’aurons pas le contrôle, ce ne sera pas meilleur marché.» Le médecin cantonal craint aussi moins d’équité dans l’accès au dépistage: «Dans certaines couches de la société, tout le monde n’a pas de médecin traitant. Dans les cantons romands, nous sommes convaincus qu’il vaut la peine d’investir dans des programmes cantonaux.»
Ce n’est pas la première remise en question de cette pratique: en 2014, un rapport du Swiss Medical Board déconseillait ces programmes cantonaux à cause de résultats parfois faussement positifs. Cependant, des études montrent que, sur mille femmes, le dépistage permet d’éviter quatre décès supplémentaires et favorise un traitement moins lourd.