Pourquoi les députés neuchâtelois s’écharpent pour 0,4% du budget 2016
Analyse
Objet de psychodrames et de bras de fer politiciens, le budget du canton est âprement débattu au Grand Conseil. Le bloc bourgeois UDC-PLR, majoritaire, veut faire appliquer ses diktats. Mais il a perdu, mardi à 23h, sur le dossier symbolique d’Hôpital neuchâtelois, pour un «petit» million de francs

Jamais encore le canton de Neuchâtel ne s’est trouvé sans budget pour débuter l’année. Mais, comme un mauvais film qui revient chaque année, le débat budgétaire génère de fortes tensions, des menaces et des bras de fer politiciens. L’exercice pour faire avaler le budget 2016 a peut-être atteint le niveau le plus élevé – ou le plus bas, selon certains observateurs abasourdis – d’incertitude et de bisbilles entre la gauche et la droite.
Pourtant, mardi à près de 23h, après de longues heures d’affrontements verbaux, en refusant de raboter un «petit» million dans l’enveloppe dévolue à Hôpital neuchâtelois, une majorité de circonstance, composée de la gauche et de quelques Vert’libéraux et libéraux-radicaux, a peut-être sauvé un budget 2016 malmené, qui devrait présenter un déficit d’une quinzaine de millions de francs.
Année 2016 capitale à Neuchâtel
Alors qu’il est capable de faire taire ses divergences lorsqu’il s’agit de soutenir, par exemple, l’ambitieux programme de mobilité – que la Confédération doit financer –, le parlement neuchâtelois sort toujours divisé du débat budgétaire.
Mais il a jusqu’ici toujours évité le pire. A vérifier d’ici à jeudi midi, pour autant qu’une majorité, dont on ne perçoit pas encore les contours exacts (il pourrait y avoir des retournements de tendances, à l’UDC ou au PS), accepte de doter l’Etat d’un cadre financier pour une année 2016 qui sera capitale à Neuchâtel. Avec trois scrutins populaires décisifs: après le rejet du Transrun en 2012, les citoyens devront valider le nouveau concept de mobilité, en février; puis la réforme du parlement avec une unique circonscription électorale et la réduction du nombre de députés; et enfin, la nouvelle organisation spatiale d’Hôpital neuchâtelois. Sans compter que 2016 est une année électorale dans les communes et une année préélectorale au plan cantonal. Ces échéances accroissent la nervosité.
Refus d’entrer en matière
Retour sur les vicissitudes budgétaires 2016. Lundi 19 octobre, au lendemain d’élections fédérales au cours desquelles le PLR a perdu l’un de ses deux sièges au Conseil national, les cinq députés PLR de la Commission parlementaire cantonale des finances, suivis par les trois UDC (à 8, le bloc PLR-UDC a la majorité), refusent d’entrer en matière sur la copie budgétaire 2016 du Conseil d’Etat. La crise est profonde.
Le gouvernement à majorité socialiste (3 PS et 2 PLR) appelle à la raison et met de nouvelles propositions sur la table. Les députés bourgeois reviennent sur leur refus initial et amènent leurs recettes, qu’ils imposent. «Il était de notre devoir de corriger les chiffres faux du gouvernement, qui avait surestimé les rentrées fiscales des personnes morales pour 12 millions et sous-estimé certaines charges, comme les hospitalisations extérieures. Ne pas réagir aurait été irresponsable», explique le député PLR Andreas Jurt.
Pour contenir le déficit à 11,7 millions, il fallait trouver 17 millions d’économies. La droite a produit des coupes qui vont d’une diminution des jetons de présence des députés à un étalement de la réforme fiscale des personnes physiques (les déductions pour enfants seront augmentées par paliers), mais touchent également des domaines que le gouvernement, d’accord pour faire un bout de chemin avec la majorité parlementaire, juge «excessifs, contre-productifs et nuisibles au climat de confiance avec les partenaires», selon un ministre des Finances, Laurent Kurth, agacé du coup de force parlementaire.
En prenant en compte les rapports de force, le parlement et sa commission financières admettent la plupart des amendements PLR et UDC. Sauf sept, pour un peu plus de 8 millions de francs, ce qui fait dire au Vert’libéral Mauro Moruzzi que «nous avons un consensus pour 99,6% du budget».
Restent dont 7 objets conflictuels, pour lesquels les uns et les autres ont averti qu’ils refuseront le budget s’ils n’obtiennent pas gain de cause.
HNE, le déclic
Tout au long des longues heures du débat parlementaire, les députés ont fait les fiers à bras, les uns s’estimant suffisamment forts pour imposer leurs vues, les autres affirmant pouvoir bloquer le processus. La droite a emporté un premier succès en imposant une réduction de 10% des mandats externes, un premier casus belli pour le gouvernement.
A 23h, dans une salle sous tension, la gauche et le Conseil d’Etat ont signé une importante victoire d’étape en voyant la coupe supplémentaire de 1 million exigée dans l’enveloppe accordée à Hôpital neuchâtelois rejetée par 60 voix contre 44, parce que des députés vert’libéraux et PLR ont préféré suivre l’argumentaire de Laurent Kurth, affirmant que HNE s’est engagé sur la voie des réformes, doit déjà composer avec 10 millions de moins depuis 2013 et qu'«en rajouter une couche bloquera le processus et condamnera la confiance».
Reste à examiner, jeudi, au lendemain de la réception du nouveau président du Conseil des Etats Raphaël Comte, la coupe exigée dans la subvention à l’université (1,3 million) – elle devrait elle aussi être rejetée –, puis les mesures sur la masse salariale de la fonction publique (là, la droite devrait l’emporter).
«Un cirque»
Au final, l’essentiel devrait être sauf, un budget accouché aux forceps. Mais il subsistera la désagréable impression que le budget est devenu un objet de tiraillements politiciens, d’opposition frontale entre les idéologies de droite et de gauche. Où la culture de la recherche du consensus a disparu, où on préfère régler des comptes personnels et politiciens, entre députés et avec le Conseil d’Etat.
Stoïque jusqu’ici, notamment dans le très délicat dossier hospitalier, le ministre Laurent Kurth n’a pas caché qu’il était excédé par ce que le député socialiste Baptiste Hurni a qualifié de «cirque». Il s’est même permis de prendre à partie les députés PLR et UDC qui avaient voté en novembre contre les mesures de réformes d’Hôpital neuchâtelois (qui induisent des économies) et qui exigent ici une coupe dans l’enveloppe financière accordée à l’institution.