Avec leur combinaison blanche, on les dirait sortis tout droit d'un film de science-fiction. Munis de casques, de lunettes spéciales, de gants et de bottes, les deux hommes s'affairent précautionneusement, à coups de petits gestes rapides et précis. Il s'agit de ne pas commettre d'erreur. Soudain, la foreuse produit un vrombissement rauque, déchirant le silence qui régnait jusqu'alors.

«Nous sommes en train de procéder au quatrième forage. Au total, il devrait y en avoir vingt-deux», précise Olga Darazs, directrice du bureau CSD Ingénieurs Conseils SA. Celui-ci a été mandaté par l'Etat de Fribourg pour mener le travail d'investigation sur l'ancienne décharge de La Pila. Perché à deux pas d'une falaise surplombant la Sarine, le site se trouve sur la commune d'Hauterive, à quelques kilomètres de la capitale cantonale. Il est aujourd'hui recouvert d'arbres, à proximité de l'usine d'incinération de Saidef qui traite les déchets du canton.

La poubelle de Fribourg

La tâche de ces analystes aux airs lunaires est ardue. S'étendant sur deux hectares, la décharge désaffectée est contaminée par du PCB de dioxine (cPCB), un dérivé chimique chloré hautement toxique, qui, par ruissellement, empoisonne la rivière en contrebas (LT du 30.08.2007). Les carottages effectués par les ingénieurs divulguent un triste instantané de l'histoire de notre société. Compactées sur le socle de molasse qui repose à 14 m de profondeur, les couches de déchets s'empilent les unes sur les autres, reflet d'une époque où le site n'était qu'une vaste poubelle, en l'occurrence celle de la ville de Fribourg. Les forages sont suivis par la pose de piézomètres, sortes de sondes permettant de prélever des échantillons d'eau souterraine.

Papier imprégné de PCB

Coincé dans un méandre de la Sarine, le site de La Pila a été, jusqu'au mitan du XXe siècle, utilisé à des fins agricoles. Mais la cavité du terrain donne des idées. En 1952, les autorités fribourgeoises le transforment en décharge communale, qui sera progressivement remblayée par les surplus de la consommation urbaine (ordures ménagères, déchets encombrants, de chantiers, et aussi industriels). C'est là que le bât blesse. Une usine fabriquant des condensateurs y achemine les scories de sa production. Or les condensateurs et autres transformateurs, qu'on trouvait par exemple dans les machines à laver, étaient isolés avec du papier imprégné de PCB, une huile stable qui permettait d'éviter les surchauffes.

La décharge a été exploitée jusqu'en 1975, avant d'être comblée et recouverte d'une forêt. Dans les années 1980, la rivière est soumise à des observations régulières de qualité. Elles ne révèlent rien de particulier. Dès 2004, en application de l'ordonnance fédérale sur les sites pollués, La Pila fait l'objet d'investigations toujours plus poussées. Le résultat est sans appel: la teneur de toxique découverte dans les poissons dépasse la valeur maximale européenne de 8 pictogrammes de PCB coplanaires par gramme. En août 2007, le Conseil d'Etat interdit la pêche dans la Sarine entre les barrages de Rossens et de Schiffenen.

Loïc Constantin, du Service cantonal de l'environnement, explicite le plan d'action de l'Etat: «Les objets recelant du PCB ne sont pas répartis uniformément dans l'ancienne décharge. Nous devons définir précisément les zones à risque, avant de mettre en place un concept d'assainissement.» Celui-ci ne sera pas élaboré avant 2009. Selon le résultat des investigations, il tendra vers un confinement des poches polluées, voire, si nécessaire, une excavation complète du site. Sachant que ce dernier représente 240 000 m3 de volume, une telle opération pourrait coûter des dizaines de millions de francs.

Les travaux, quoi qu'il en soit, ne seront pas aisés. A deux pas du périmètre contaminé, des gitans «sédentarisés» ont installé leurs caravanes. «La zone sur laquelle ils vivent ne faisait pas partie de la décharge, rassure Loïc Constantin. Mais ils devront probablement déménager lorsque nous traiterons les matériaux toxiques.»

Bombes à retardement

Récemment, la Confédération a mis sur pied un groupe de travail chargé d'étudier la problématique des cours d'eau contaminés au plan national (LT du 8.01.2008). Sa première mission est de rassembler toutes les informations concernant les sites à problèmes potentiels. Pour le canton de Fribourg, on estime leur nombre à 1000, tandis que la Suisse en compterait quelque 50000! «Mais seul 10% d'entre eux présentent de réels risques de pollution», précise Loïc Constantin. Cela fait tout de même 5000 bombes à retardement, susceptibles d'exploser comme La Pila.