Retour donc au camion d'où s'échappent les fumées. Alerté par des appels de phares d'automobilistes arrivant en sens inverse, Gilbert Degrave décide de poursuivre sa route. Son tracteur ne perd pas de puissance et rien ne clignote au tableau de bord. Progressivement, les choses s'aggravent et il est contraint de s'immobiliser au kilomètre 6. Il dira avoir tenté de s'emparer de l'extincteur sous son siège. Des témoins affirmeront au contraire que le chauffeur se serait sauvé tout de suite vers l'Italie.
Dans la cabine de surveillance côté français, les choses se passent pour le moins lentement. Pas moins de 28 autres véhicules pénètrent dans l'ouvrage avant que les feux ne soient mis au rouge et les péages fermés. Pour le commissaire divisionnaire Eric Voulleminot, le constat ne fait guère de doute: «Il y a eu détection tardive des fumées et avis tardif aux pompiers.» Les équipages de secours de la société concessionnaire du tunnel s'engouffrent dans la fournaise mais ne sont pas équipés pour affronter un tel sinistre. Leurs véhicules percutent les murs, ils doivent se mettre à l'abri dans des refuges.
Les sapeurs-pompiers de Chamonix ne feront pas beaucoup mieux. Une seconde équipe est dépêchée sur place pour porter secours à la première. Les incidents se succèdent et les réserves d'air s'épuisent. Après moult péripéties, les hommes du feu parviennent à ressortir du tunnel. L'un d'eux, l'adjudant-chef Tosello, y perdra la vie. Vers 18 h 40, une mission de reconnaissance est organisée. Dans une niche de sécurité, celle-ci découvre les corps de deux personnes. Mais il est déjà bien trop tard. La fumée a complètement envahi les lieux et aucune autre intervention ne sera tentée.
Côté italien, c'est pire. Le système de détection des incendies est partiellement en panne, il n'existe pas d'alarme opacité qui signale la fumée, et la société concessionnaire ne dispose d'aucun service de secours propre. Il faut alerter les cinq pompiers mobilisés à Courmayeur, qui, eux, devront ensuite appeler des renforts à Aoste. Soit à quarante minutes de route. Plus grave et contrairement à toutes les consignes de sécurité, le système de ventilation a été en quelque sorte inversé. La gaine air vicié a été mise sur position air frais. Ce qui fait dire à un témoin que «le boudin de fumée qui sortait du tunnel était ré-aspiré vers l'intérieur.»
Tous ces éléments seront approfondis à l'infini durant ces trois mois de procès. Le commissaire a pourtant déjà tenté une synthèse: «Il semble que la catastrophe ait eu plusieurs causes conjoncturelles et structurelles.» Parmi ces dernières, la coexistence de deux salles de régulation, l'impossibilité pour une équipe de prendre le commandement des opérations, l'incompatibilité des équipements, l'absence de réflexion globale sur la sécurité de l'ouvrage.
Aux nombres des causes conjoncturelles, le policier relève les retards manifestes, la non-application des consignes, la mauvaise information des pompiers. «Il semble que la longueur de ce tunnel ne soit pas de 11,6 kilomètres mais bien de deux fois 5,8 kilomètres», a-t-il ajouté pour décrire l'absence de coordination entre Français et italiens. Sans oublier l'impossibilité pour les victimes de fuir cet enfer. Des victimes dont le sort sera examiné dès lundi prochain.