C’est une subtilité du Code civil, mais aux conséquences à la fois délicates et importantes: le devoir d’entretien qui s’applique aux parents dont les jeunes sont en formation de 18 à 25 ans se trouve fortement limité en cas d’indigence des enfants.

Selon la loi, des parents seront par exemple tenus d’entretenir leur premier enfant qui étudie à l’université tandis qu’ils n’auront aucune obligation de payer pour leur deuxième enfant majeur, à l’aide sociale, sans travail ni formation.

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En effet, seuls les parents «vivant dans l’aisance», dit le Code civil, sont tenus d’entretenir leur jeune à l’aide sociale. Précisant la notion d’aisance, le Tribunal fédéral a fixé un seuil indicatif à 120 000 francs de revenu annuel pour une personne seule et 180 000 francs pour un couple marié.

Mieux vaut donc un jeune assisté qu’en formation? C’est une inégalité de traitement à laquelle il faut mettre fin, dénonce le conseiller national Laurent Wehrli (PLR/VD). Président de Pro Familia Suisse et du Conseil de politique sociale du canton de Vaud, il a déposé une motion afin de modifier le Code civil. En coulisses, il a travaillé avec le conseiller d’Etat vaudois Pierre-Yves Maillard (PS). «Le canton de Vaud a mis sur pied un certain nombre de dispositifs, dont le programme FORJAD, pour que les jeunes qui se forment ne soient pas désavantagés financièrement par rapport aux jeunes à l’aide sociale. Dans ce cadre-là, nous nous sommes aussi rendu compte que la jurisprudence et la législation fédérale ne nous permettaient pas de miser sur un autre incitatif, celui du devoir d’entretien des parents».

Bonnes chances d’aboutir

La motion de Laurent Wehrli a de bonnes chances d’aboutir. Elle devrait d’ailleurs être transformée en motion de commission, à la demande de la Commission des affaires juridiques et de celle de la sécurité sociale. Elle a reçu du soutien dans les rangs PLR, PDC, UDC, Vert’libéraux et chez les Verts. Seuls les socialistes l’ont boudée, «pour des raisons politiques que je peux comprendre», sourit Laurent Wehrli.

Pour autant, le PS ne devrait pas se montrer trop hostile au final à la proposition. Pierre-Yves Maillard est à la manoeuvre. Et il n’est pas le seul conseiller d’Etat à plaider ce tournant. «C’est un changement que les conseillers d’Etat Mauro Poggia et Pierre-Yves Maillard ensemble appellent de leurs voeux depuis longtemps», confirme la conseillère aux Etats Liliane Maury Pasquier (PS/GE). Elle approuve l’idée de fond de la motion: «Le fait que l’indigence et la formation ne soient pas traitées de la même manière au niveau du devoir d’entretien est incompréhensible. Il serait logique qu’il y ait une unité de doctrine.» Elle met néanmoins en garde contre les solutions trop simplistes. «Ma crainte est que cela se fasse au détriment des relations familiales. Cette idée mérite un débat approfondi».

Enjeux financiers

Lors de la révision du Code civil de 1998, le Parlement avait en effet décidé d’assouplir les conditions d’entretien en introduisant la notion «d’aisance», de celui qui doit passer à la caisse. A l’époque, il justifiait cette disposition notamment par l’augmentation de l’espérance de vie, pour ce qui est de l’entretien des parents en ligne ascendante, et par l’éclatement des familles et le relâchement des liens familiaux par rapport à l’entretien en ligne descendante.

Mais le contexte a évolué. Et le taux d’aide sociale parmi les 18 à 25 ans, de 12% en proportion de la population suisse, est devenu un enjeu majeur pour les cantons et communes, notamment urbains. Pour exemples, il a été dépensé 520 francs par habitant pour l’aide sociale dans le canton de Genève en 2012 et 424 francs par habitant dans le canton de Vaud, contre 178 francs par habitant dans le Jura et 133 francs en Valais.

La pression de deux conseillers d’Etat dans ce dossier s’inscrit donc aussi dans une perspective financière. La concrétisation de la motion Wehrli laisse miroiter aux cantons de Vaud et de Genève des économies intéressantes. Depuis cette année, le forfait d’entretien pour les jeunes adultes à l’aide sociale a toutefois déjà été réduit de 20%. Ne s’acharne-t-on pas sur une catégorie de la population? «Il n’y a pas de volonté de péjorer qui que ce soit mais de rétablir un équilibre dans l’encouragement à se former et l’implication parentale», assure Laurent Wehrli.