Le diagnostic préimplantatoire sera pratiqué en Suisse d'ici 1 à 2 ans
Santé
La loi sur la procréation médicalement assistée a été adoptée ce dimanche à une importante majorité de 62,4% des voix. La mise en œuvre dans les hôpitaux et les laboratoires prendra néanmoins encore du temps

Ce n’est pas parce que la loi sur la procréation médicalement assistée (PMA) a été acceptée ce dimanche par une forte majorité de 62,4% des voix, que les analyses pour détecter des maladies génétiques graves sur les embryons seront pratiquées immédiatement en Suisse.
Les couples qui souhaitent avoir accès au diagnostic préimplantatoire (DPI) devront encore attendre une année au moins, probablement plus. Après le oui à la loi, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) doit édicter les ordonnances qui vont mettre en musique la pratique des tests génétiques. Un processus long: «Je prévois une entrée en vigueur pour le deuxième semestre 2017», estime Andrea Arz de Falco, vice-directrice à l’OFSP. «Même si nous entendons avancer le plus rapidement possible, il y a une procédure à respecter avec notamment un temps de mise en consultation du texte. Mais en parallèle, les centres et les laboratoires qui veulent offrir les nouvelles prestations peuvent commencer à s’organiser.» En attendant 2017, voire plutôt 2018, nombre de médecins conseillent aux couples infertiles ou porteurs de maladie grave qui les consultent de ne pas attendre et de continuer à se rendre à l’étranger.
Pas d'investissement avant le résultat
Plusieurs raisons expliquent que les hôpitaux universitaires romands, comme les centres privés spécialisés dans la PMA, ne soient pas prêts à se lancer dès maintenant. C'est une évidence, mais ils devaient d’abord attendre le résultat de la votation: «Nous savions que aurions le temps de nous préparer avant l’entrée en vigueur des ordonnances fédérales», explique Isabelle Streuli, médecin adjointe et responsable de l'unité de médecine de la reproduction aux HUG, les Hôpitaux universitaires de Genève. Idem au CHUV: pas question d’investir dans des équipements ou de la formation avant d’être sûr que la loi change.
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Durant la campagne, c’est surtout le DPI qui a retenu l’attention. Mais la législation adoptée est plus large: elle concerne tous les couples infertiles qui optent pour la fécondation in vitro (FIV). «Cette partie de la loi aura le plus grand impact sur notre pratique et pour nos patientes, poursuit Isabelle Streuli. Lors d’un cycle de FIV, nous pourrons développer 12 embryons au lieu de 3, placer un seul embryon dans l’utérus de la femme et congeler les autres en vue d’implantations ou de grossesses futures. De nouveaux protocoles de soins et de congélation devront être établis, mais ils sont relativement simples à mettre en place. Une fois les ordonnances entrées en vigueur, nous pourrons être opérationnels rapidement.» Pour la spécialiste, l’efficacité de la FIV sera renforcée: «Nous congèlerons moins d’embryons car nous ne garderons, après 3 à 5 jours de croissance, que ceux capables de donner une grossesse. Par ailleurs, un seul embryon qui s'est réellement développé jusqu'au 5e jour pourra être placé dans l’utérus et le nombre de grossesses à risque, gémellaires ou multiples, diminuera».
La mise en œuvre du DPI proprement dit est, elle, plus complexe. Les changements concernent essentiellement les biologistes de la reproduction chargés de prélever une ou deux cellules sur l’embryon sans l’abimer, ainsi que les médecins qui analyseront ces brins d’ADN. «Pour poser des diagnostics justes, les généticiens devront être extrêmement précis, travailler en un temps beaucoup plus court qu’avant sur un nombre de cellules très restreint, indique le médecin Dorothea Wunder, du Centre de Procréation médicalement assistée à Lausanne. Nous, les cliniciens, sommes surtout concernés par l’indication du DPI: nous devons nous assurer que les couples qui en ont vraiment besoin aient accès aux analyses génétiques.»
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Pour les laboratoires, il s’agit à la fois de transformer les locaux et de former les généticiens à des manières de faire spécifiques et délicates qui nécessitent une mise au point à partir du matériel génétique des parents. «Nous parlons d’une quantité d’ADN analysée un million de fois inférieure à celle avec laquelle nous sommes habitués à travailler, explique Ariane Giacobino, médecin adjointe agréée dans le service de médecine génétique des HUG. L’un des enjeux lorsqu’on travaille sur une cellule, c’est d’éviter les contaminations, de s’assurer qu’il s’agit bien de la cellule prélevée sur l’embryon, non d’ADN provenant de la peau du généticien par exemple». Cela nécessite des locaux très protégés, avec des flux de ventilation particuliers notamment.
Combien de laboratoires concernés?
Autre question: de nombreux laboratoires vont-ils s’équiper ou seuls quelques centres se spécialiseront-ils dans le DPI? L’incertitude plane encore: «Pour l’instant, nous ne savons ni combien ni quels laboratoires pratiqueront ces analyses », expliquent aussi bien Ariane Giacobino que Dorothea Wunder. Les décisions relèvent des cantons et de la planification hospitalière, pas d’une injonction fédérale. L’autorisation cantonale à laquelle sont soumis les laboratoires devra en tout cas être adaptée à la nouvelle donne.
Quatre à cinq cliniques pourraient recevoir l'autorisation de pratiquer le DPI
Idem pour les médecins agrées. Actuellement, une trentaine de centres pratiquent la FIV en Suisse; 75 médecins sont titulaires d’une autorisation cantonale, selon l’OFSP. Tous demanderont-ils à pouvoir pratiquer le DPI? On l’ignore encore, notamment parce que la question des autorisations sera précisée par ordonnance. Mais au cours de la conférence de presse du Conseil fédéral, le ministre de la Santé Alain Berset a annoncé que «4 à 5 cliniques pourraient recevoir l'autorisation de pratiquer le DPI, qui concernerait 500 à 1000 couples par an.»