Revenu de Rome où il a rencontré plusieurs de ses homologues européens ministres de la Santé, le conseiller fédéral Alain Berset a répété que l’Office fédéral de la santé publique et lui suivaient de très près l’évolution du coronavirus en Suisse. Un jour après l’annonce du premier cas décelé en Suisse, il s’est employé à rassurer la population: «Nous sommes bien préparés pour faire face à une situation dont nous savons qu’elle peut être dure à contrôler.» Sur l’ensemble du territoire, dix laboratoires peuvent faire un millier de tests par jour. Quant à la hot-line de l’OFSP, elle répond désormais à un millier d’appels par jour.

En croissance exponentielle, ce chiffre témoigne du besoin d’information d’autant plus impérieux que certains experts n’hésitent pas à faire part de scénarios catastrophes. Interrogé par la NZZ, l’un d’entre eux, Christian Althaus, n’a pas exclu que ce virus puisse faire «30 000 victimes» en Suisse. Le Temps a interrogé Didier Pittet, directeur du Centre collaborateur de l’OMS et médecin-chef du service de prévention et contrôle de l’infection aux Hôpitaux universitaires de Genève.

Le Temps: Devons-nous envisager une pandémie concernant le coronavirus?

Didier Pittet: Pour qu’il y ait une pandémie, il faut qu’il y ait une transmission soutenue du virus dans le monde entier. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Nous ne connaissons une situation à risque qu’en Iran, probablement en Italie, et peut-être au Japon, où l’évolution du virus n’est pas sous contrôle. Dans ces pays, nous sommes inquiets, car nous avons découvert un grand nombre de cas en très peu de temps, ce qui veut dire qu’on en ignorait un certain nombre depuis plusieurs semaines. Comme les premiers cas ont été manqués, le taux de mortalité est monté en flèche.

Et en Suisse? Dans la «NZZ», le spécialiste des épidémies Christian Althaus évoque un scénario catastrophe avec 30 000 victimes.

Ces estimations sont fantaisistes et alarmistes, basées sur de fausses hypothèses; j’ai rapidement lu l’argumentaire mais il est basé sur la supposition que 30 à 40% de la population suisse serait infectée par le virus, ce qui n’est largement pas le cas selon ce que nous observons en Chine actuellement. Pour l’instant, nous n’avons identifié qu’un seul cas d’un Suisse ayant voyagé en Italie. Maintenant, il s’agit de faire des tests autour de ce patient; nous ne sommes pas encore dans une phase de contention au plan national. Par contre, il faut se préparer à mettre en œuvre certains des éléments du plan pandémie que la Suisse a actualisé en 2018. Il ne faut pas dramatiser.

Pensez-vous que le coronavirus pourrait s’avérer beaucoup plus dangereux qu’une grippe saisonnière?

Pour l’instant, ce n’est pas le cas en Suisse. Cette année, nous avons déjà eu davantage de victimes de la grippe que nous n’en aurons jamais pour le coronavirus. Je suis formel à ce sujet. Actuellement, en Chine, le nombre de cas diminue. Quant au taux de mortalité, il était certes de 4% dans la province de Hubei – soit l’épicentre de l’épidémie –, mais ne s’élevait qu’à 0,5% dans celle de Guangdong, qui se trouve à proximité de Hongkong. Il y a aujourd’hui 78 000 cas répertoriés en Chine, mais le nombre réel est probablement de 300 000 à 500 000. Cela signifie que le taux de mortalité est surévalué en Chine, car on ne teste avant tout que les cas les plus sévères. Or, 80% des cas infectés sont bénins.

La Suisse est-elle bien préparée?

C’est comme avec une équipe de foot. Elle pense qu'elle est bien préparée, mais cela ne se vérifiera que lorsqu’elle sera sur le terrain. Face à un risque de pandémie, nous sommes prêts, mais nous ne pourrons jamais affirmer que nous sommes parfaitement préparés. En 2009, lorsqu’il s’est agi de vacciner la population contre le H1N1, nous avons pu le faire en utilisant même les casernes.

Selon le journal médical «JAMA», il existe des porteurs de virus ne présentant aucun symptôme de maladie. Se pourrait-il que des enfants, parmi lesquels il n’y a presque pas de victimes, soient les principaux porteurs sains du virus?

Nous n’avons pas d’informations pouvant vérifier cette hypothèse. Pour cela, il faudrait tester les porteurs sains, comme les enfants, ce qui n’a pas été fait. En Chine, la plupart des victimes sont âgées de plus de 65 ans et atteintes de maladies secondaires. Aujourd’hui, le taux de mortalité en rapport avec le coronavirus est plutôt lié à des maladies concomitantes.

Revenons en Suisse: à Neuchâtel, le médecin cantonal a préconisé une quarantaine à domicile pour les enfants d’une crèche qui revenaient d’Italie. Une telle mesure fait-elle sens?

Je ne connais pas tous les détails de ce cas, mais une telle mesure n’est pas justifiée si ces enfants ont simplement voyagé dans la région de Milan. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP), qui a dit que rien ne changeait en fonction du premier cas en Suisse, a été très clair à ce sujet.

Comment voyez-vous la situation évoluer en Suisse?

Seuls les devins peuvent le dire. On peut s’attendre à ce qu’on identifie un certain nombre de patients qu’on appellera «des cas isolés». Mais aujourd’hui, il n’y a aucune raison de s’alarmer.