«Au nom de Dieu Tout-Puissant!» Cette phrase aux accents terribles ouvre, depuis 1848, le préambule de la Constitution suisse, actuellement en voie de révision. Est-elle encore adaptée à la Confédération du XXIe siècle? C'est la question débattue par le Conseil national, mardi, pendant près de deux heures.
Le gouvernement, avec la majorité de la commission du Conseil national chargée d'examiner le texte, proposait de maintenir telle quelle l'invocation divine qui ouvre la Constitution actuelle (voir l'encadré). Une minorité de gauche, emmenée par le socialiste zurichois Andreas Gross, proposait de la supprimer. Mais pas par athéisme militant: «Je ne suis pas antichrétien, se défend le député. Au contraire, mon projet est plus chrétien que l'ancien.» Comme la majorité de la commission, la minorité de gauche proposait en effet d'ajouter au préambule proposé par le Conseil fédéral une mention de la «responsabilité envers la Création» des Suisses: «Cette formule évoque l'humilité de l'homme, dont la vie est un prêt qui doit être rendu, et l'idée de transcendance, qui signifie que notre existence n'est pas entièrement explicable. Elle est plus claire et plus œcuménique que l'ancienne», estime Andreas Gross.
Deux autres propositions de gauche visaient au même but: reformuler l'appel au surnaturel sous une forme plus moderne. L'écologiste Pia Hollenstein proposait d'invoquer le «divin» au lieu du «Dieu patriarcal». La socialiste genevoise Liliane Maury Pasquier, se déclarant «chrétienne engagée», demandait la suppression du qualificatif «Tout-Puissant», produit d'une société du XIXe siècle imprégnée, selon elle, de «christianisme totalitaire». Un seul athée convaincu a osé exprimer ses convictions à la tribune: le socialiste genevois Jean Ziegler. «Ce préambule est absurde. Sartre l'a écrit: l'homme est ce qu'il fait. Au nom de Dieu Tout-Puissant, la Suisse a refoulé 100 000 Juifs vers les camps de la mort. Nous avons ici l'occasion de faire enfin une Constitution laïque.»
A l'existentialisme du Genevois, le conseiller fédéral Arnold Koller, chef du Département fédéral de justice et police, a opposé Dostoïevsky: «Si Dieu n'existait pas, tout serait permis.» En outre, l'invocation actuelle maintient la tradition des pactes d'alliance de l'ancienne Confédération, qui s'ouvraient par «Au nom du Seigneur, amen».
Mais l'argument décisif est politique: moins de 200 projets, sur les quelque 6400 récoltés entre 1995 et 1996 dans le cadre du concours public de rédaction d'un nouveau préambule, proposent la suppression du «Dieu Tout-Puissant». Dans ces conditions, se passer de cette référence condamnerait la nouvelle Constitution à un échec devant le peuple, a averti Arnold Koller.
La proposition de rayer le «Tout-Puissant» du paysage constitutionnel a finalement été balayée par 105 voix contre 53, les autres tentatives de modification échouant dans des proportions similaires. Un résultat qu'avait prédit le libéral vaudois Jean-François Leuba, lui-même habitué, avec sa camarade de parti Suzette Sandoz et le radical Philippe Pidoux, des prières organisées au Palais fédéral les mercredis durant les sessions: «30% des députés vont à l'église, 40% croient à une force supérieure. Seuls 30% sont athées, et encore: la présence de Dieu dans la Constitution les indiffère plus qu'elle ne les dérange.» A une majorité plus serrée (107 voix contre 65), les conseillers nationaux ont approuvé le reste du projet de préambule préparé par leur commission. Il diffère considérablement du texte approuvé par le Conseil des Etats, ce qui demandera une longue procédure d'élimination des divergences. Mais Dieu, qui a fait l'unanimité entre les deux Chambres, a certainement déjà sauvé sa place dans la Constitution.
Les différents préambules
Le préambule actuel: «Au nom de Dieu Tout-Puissant! La Confédération suisse, voulant affermir l'alliance des confédérés, maintenir et accroître l'unité, la force et l'honneur de la nation suisse, a adopté la Constitution fédérale suivante.»
La proposition du Conseil des Etats, très proche de celle du Conseil fédéral:
«Au nom de Dieu Tout-Puissant! Le peuple et les cantons suisses,
Résolus à renouveler leur alliance, et à renforcer leur cohésion,
Pour maintenir la liberté, l'indépendance et la paix,
Dans un esprit de solidarité et d'ouverture au monde,
Déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans un esprit d'équité et de tolérance
Conscients des acquis communs et de leur devoir d'assurer leurs responsabilités envers les générations futures,
Arrêtent la Constitution que voici:»
La proposition adoptée par le Conseil national:
«Au nom de Dieu Tout-Puissant!
Le peuple et les cantons de la Suisse,
Conscients de leurs responsabilités envers la Création,
Résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l'indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d'ouverture au monde,
Déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l'autre et l'équité,
Assumant leurs obligations envers les générations futures,
Conscient que seul est libre qui use de sa liberté, sachant que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres,
Reconnaissant les limites de tout pouvoir étatique, soucieux du devoir qui leur incombe de contribuer à la paix du monde, ont arrêté la Constitution que voici:».