La guerre du logement – apaisée depuis la signature de plusieurs accords entre autorités, promoteurs et associations de défense de locataires – semble avoir repris à Genève. Et le terrain du conflit est vaste, s’agissant de l’un des plus grands projets immobiliers que planifie le canton. Le projet Praille-Acacias-Vernets (PAV), situé à proximité du centre-ville, occupera 230 hectares (soit l’équivalent de la superficie de Monaco) pour accueillir 11 000 logements pour autant d’emplois.

Il faut chercher la genèse des hostilités dans les propos tenus par le patron de l’Urbanisme, François Longchamp (PLR), lors d’une réunion mensuelle avec les parties prenantes du projet le 22 novembre. Le conseiller d’Etat a lancé un pavé dans la mare en déclarant qu’il fallait réduire le quota de logements sociaux dans les futures constructions pour en pérenniser le financement. Raisons invoquées par l’édile pour expliquer la hausse de la facture: les coûts des déménagements des entreprises qui bénéficient actuellement de droit de superficie, la dépollution des sites et la complexité géologique du terrain.

Ses propos ainsi relayés par la presse ont fait bondir hier l’Association genevoise de défense des locataires (Asloca), laquelle brandit d’ores et déjà la menace d’un référendum contre une modification de loi relative au PAV, approuvée en 2011 à l’unanimité des partis représentés au Grand Conseil. Une loi qui est le fruit d’un accord qu’avait obtenu l’exécutif une année plus tôt, au prix de larges efforts.

L’accord paraphé par le prédécesseur de François Longchamp, le conseiller d’Etat Mark Muller, est contraignant. Il stipule qu’aucune vente d’appartements (PPE) ne peut avoir lieu sur les terrains que possède l’Etat, soit 82% de la surface totale. Sur ces mêmes terrains, deux tiers des logements réalisés doivent être «d’utilité publique» pour faire face à la difficulté des moyens et bas revenus à se loger dans le canton. Enfin, il fixe le ratio un emploi pour un logement.

Signataire du texte, l’Asloca affirme ne pas vouloir revenir à la table des négociations. «L’Etat revient en disant qu’il n’a pas suffisamment bien estimé les coûts, c’est grotesque, fulmine Christian Dandrès, avocat au sein de l’association et député socialiste au Grand Conseil. Si le plan financier ne peut pas être respecté, c’est parce que l’Etat ne veut pas assumer ses tâches régaliennes.» Si l’élu concède toutefois que la construction du futur quartier engendre des coûts, notamment en termes d’équipements publics, il s’oppose à ce que l’Etat les intègre dans les plans financiers des opérations immobilières. «Les autorités ne font que reporter sur les locataires des dépenses qui doivent être financées par la collectivité.» Et de relever que l’Etat a déjà utilisé cette méthode dans le cadre du projet de réaménagement de la parcelle de la caserne des Vernets. «Il est prévu dans le concours de reporter sur les promoteurs les 33 millions de francs nécessaires à la construction de nouvelles casernes.»

Pour François Longchamp, pas question de construire un quartier low cost. «Sauf si la volonté de l’Asloca est de s’inspirer de l’architecture de l’Allemagne de l’Est, avant la chute du Mur», ironise le libéral-radical. «Les études que nous avons menées ces derniers mois nous ont amenés à la conclusion que nous étions face à un véritable problème de financement. En maintenant une proportion de deux tiers de logements d’utilité publique, nous ne pourrons pas assurer la réalisation d’un quartier avec des parcs et des équipements publics où il fera bon vivre.» Le conseiller d’Etat fustige également l’attitude de l’Asloca. «Une négociation commence d’abord par se réunir autour de la table pour discuter.»

Le référendum est-il inévitable? Le conseiller d’Etat affirme ne pas craindre d’affronter le verdict du peuple. Lequel n’avait pas pu s’exprimer en 2011, les référendaires ayant retiré leur texte suite à la ratification de l’accord.

Encore à la tête de l’Urbanisme pour quelques jours avant le renouvellement du gouvernement genevois mardi, François Longchamp abandonnera son siège à l’ex-conseiller national écologiste Antonio Hodgers. Le nouvel élu compte-t-il poursuivre la politique de son prédécesseur? «Je prends note de l’opinion du futur ex-ministre. N’ayant pas accès au dossier, je me ferai une opinion d’une fois que j’aurai prêté serment.»

Celui qui reprendra un dicastère réunissant désormais le logement et l’aménagement rappelle toutefois la nécessité de construire dans le canton. «Mais de construire pour tous», s’empresse de corriger Antonio Hodgers.

«Il n’est pas question de construire un quartier low cost»