La discussion s’annonce animée. A l’assemblée des délégués du parti socialiste (PSS), le 16 avril prochain, à la Chaux-de-Fonds, une large part des débats sera consacrée à la politique européenne et à la position du PS sur cette question. La direction soumet aux militants une nouvelle «feuille de route», avec en point d’orgue, l’idée d’un «EEE 2.0», soit un nouvel accord global pour «renforcer encore la collaboration entre la Suisse et l’Union européenne».

Cet espace économique européen revisité se situerait au-delà des bilatérales, mais en deçà de l’adhésion; il représenterait «une étape de plus vers l’intégration après la conclusion d’un accord-cadre institutionnel», selon le projet envoyé aux délégués. Ce texte de 10 pages très détaillé a suscité 40 propositions d’amendement, indique au Temps Gaël Bourgeois, le porte-parole adjoint du PSS. Le comité directeur prendra position sur chacune d’entre elle ce vendredi.

Voir plus loin que les Bilatérales

Muni de cette feuille de route, le PSS entend montrer qu’il possède une vision à long terme des relations entre la Suisse et l’UE. L’adhésion reste un but, mais elle est clairement jugée irréaliste à moyen terme, compte tenu «des difficultés actuelles de l’UE, des carences dans sa pratique démocratique, et du scepticisme que provoquent les institutions européennes dans de larges parts de l’opinion publique», selon le texte. D’où la réflexion sur un autre chemin.

La voie bilatérale actuelle n’a plus d’avenir, elle est trop difficile à structurer et à moderniser avec une centaine d’accords épars. C’est pour cela qu’il faut voir plus loin.

«Nous entendons non seulement consolider la relation avec l’Europe, mais aussi ouvrir une porte et susciter le débat avec les autres partis, lance le conseiller national Roger Nordmann, président du groupe socialiste des Chambres fédérales. Il faut dé-tabouiser ce sujet, ne pas s’interdire de réfléchir à la suite, malgré le contexte mouvant. Car même si la Suisse parvient à trouver un accord avec l’UE pour mettre en application le nouvel article de la Constitution sur la gestion de l’immigration et qu’elle parvient à négocier une clause de sauvegarde avec l’UE, cela ne marquera pas la fin du processus». Pour Roger Nordmann, «la voie bilatérale actuelle n’a plus d’avenir, elle est trop difficile à structurer et à moderniser avec une centaine d’accords épars. C’est pour cela qu’il faut voir plus loin.»

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«Voir plus loin»: la réflexion se fonde en partie sur les idées réformatrices qui agitent une UE en crise, faisant face à la défiance des citoyens et à la montée des nationalismes. L’une des pistes: l’évolution de l’Europe vers un modèle des trois cercles. Le premier serait constitué d’un noyau dur de pays membre de la zone euro, très intégrés, par exemple les pays fondateurs de la Communauté européenne. Autour d’eux, un deuxième cercle regrouperait les Etats membres de l’UE qui ne font pas partie de l’union monétaire; un troisième cercle rassemblerait les pays membres de l’EEE, comme la Norvège ou l’Islande. C’est à rejoindre ce cercle que songe le PS. «La Suisse conserverait son indépendance», insiste-t-il, tant en matière de politique commerciale extérieure qu’en matière monétaire, budgétaire et fiscale.

Non à la clause unilatérale

Voilà pour la musique d’avenir. Mais dans l’immédiat, il s’agit de mettre en œuvre l’initiative de l’UDC «contre l’immigration de masse». Le PS s’opposera au projet de clause de sauvegarde unilatérale du Conseil fédéral, ainsi qu’à toute idée de contingents contraire à la libre circulation des personnes. En revanche, il soutient le plan A du gouvernement: une solution négociée avec l’UE qui pourrait être trouvée cet été après le référendum sur le Brexit, pour autant que la Grande-Bretagne ne tourne pas le dos à l’UE. Le PS se montre aussi favorable à un accord-cadre institutionnel, qui réglera le mécanisme de reprise du droit européen, l’interprétation des règles et le règlement des différends. «Mais ce sera une étape provisoire très compliquée qui ne résoudra pas l’ensemble des problèmes», juge Roger Nordmann.

Il y a deux ans, lors de l’assemblée des délégués qui avait suivi le oui à l’initiative de l’UDC, le président du parti Christian Levrat avait entamé son discours en citant un camarade mécontent de l’énergie dépensée avec ces discussions «absurdes» sur l’Europe; d’après ce militant, le PS a mieux à faire qu’à phosphorer sur l’Europe: il devrait se concentrer sur les problèmes sociaux, de logement, d’emploi rencontrés par de nombreux Suisses ou encore sur les enjeux fiscaux. Cette critique risque fort de resurgir samedi prochain, estime un bon connaisseur du parti.

D’autres remarques s’y ajouteront. Alors que le Conseil fédéral tente avec peine de négocier sa solution pour conserver les Bilatérales tout en appliquant l’article constitutionnel, le timing est-il bon pour parler d’un pas supplémentaire vers l’intégration? Ne vaut-il pas mieux se concentrer sur le sauvetage des Bilatérales? Un EEE 2.0 ne risque-t-il pas d’être considéré comme le remake d’un vieux film ou l’antichambre de l’adhésion? Ne vaut-il pas mieux laisser tomber ce but pour l’instant? Autant d’interrogations qui nourriront un vif débat.

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