Pour diriger le Ministère public de la Confédération, le choix de la grisaille
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AbonnéSelon toute vraisemblance, Stefan Blättler sera intronisé ce mercredi pour prendre la succession de Michael Lauber à la tête du parquet fédéral. Le profil de ce commandant de la police bernoise rassure mais ne convainc pas forcément

Un commandant de police propulsé à la tête du Ministère public de la Confédération? Personne n’aurait misé sur ce scénario il y a tout juste un an, lorsque le profil recherché pour succéder à Michael Lauber évoquait un praticien chevronné, doté d’une solide expérience en matière de direction de dossiers sensibles, capable de conduire lui-même une instruction et de porter en jugement certaines affaires symboliques. Et pourtant. C’est l’inattendu Stefan Blättler, le patron des forces de l’ordre bernoises, qui s’apprête à être adoubé le 29 septembre par une Assemblée fédérale visiblement encline à élire un gestionnaire plutôt qu’un magistrat, une sorte de grand directeur plutôt qu’un procureur général, un prudent plutôt qu’un remuant.
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L’intéressé a été le premier étonné d’avoir été approché au moment de cette quatrième mise au concours (l’une a été retirée en cours de route) et admet avoir hésité avant de se lancer dans cette aventure pour laquelle il n’était pas forcément le mieux armé. Il l’a déclaré en ces termes à l’ATS, au moment de l’annonce de la commission judiciaire. «Le poste m’a été fortement suggéré.» Et au Blick qui demandait si c’est bien raisonnable de viser ce siège éjectable: «Bien sûr, on réfléchit à deux fois avant de faire une chose pareille. J’ai eu plusieurs conversations avec des personnes qui me sont proches. La décision n’a pas été facile à prendre.»
La police dans le sang
A 62 ans, le candidat avait d’autres projets en tête, notamment celui de diriger l’Institut suisse de police, dont il est déjà le président du conseil de fondation, et qui s’occupe de la stratégie en matière de formation des agents. Un regard dans le rétroviseur montre bien que Stefan Blättler a cette grande maison dans le sang. Il a grandi à Nidwald, où son père était lui-même commandant de la police cantonale. Après un doctorat en droit à Neuchâtel et un stage à UBS, il est entré dans la police bernoise en 1989 et y a gravi tous les échelons. Officier de police judiciaire, chef de la police régionale du Seeland-Jura bernois, chef planification et engagement, remplaçant du commandant de la police cantonale et enfin, le 1er août 2006 (le même jour que Monica Bonfanti à Genève), commandant de ce corps qui compte, depuis la fusion avec les municipaux, quelque 2500 collaborateurs.
Cette expérience n’a pas été de tout repos. On se souvient de la folle cavale du forcené de Bienne, l’homme qui s’était opposé à la vente de sa maison en septembre 2010, avait fait feu sur un membre de l’unité spéciale de la police cantonale et avait semé ses poursuivants suréquipés durant une semaine non sans revenir devant chez lui en tirant sur des agents en faction. La capitale fédérale, c’est aussi des matchs de football qui dégénèrent. En 2014, les débordements avaient été tels en marge de la finale de la Coupe de suisse, disputée traditionnellement dans la capitale, que les autorités bernoises n’ont plus voulu de l’événement durant plusieurs années. Sans parler des manifestations à répétition, les dernières en date contre les mesures sanitaires ayant conduit les forces de l’ordre à utiliser canon à eau et balles en caoutchouc.
Calme et discrétion
Pas de quoi ébranler Stefan Blättler, lequel a également présidé la Conférence des commandants des polices cantonales de Suisse, sorte d’organe exécutif du politique. L’homme est dépeint comme calme, discret, plutôt bon tacticien, avec de la suite dans les idées et une capacité certaine à endormir la méfiance de ses interlocuteurs. Certains évoquent «l’esprit florentin» de celui qui préfère éviter les conflits et privilégier les détours.
Tout le contraire d’un Michael Lauber (atypique lui aussi car venu du milieu de la régulation bancaire après être passé par les Offices centraux de lutte contre le crime organisé), qui était perçu, avant sa descente aux enfers, comme un patron de parquet susceptible de briller et de soigner les relations sur le plan international. Autant dire que le côté sobre et sans éclat de Stefan Blättler avait de quoi tenter une commission judiciaire échaudée par des années de scandale et, surtout, de grande agitation politique.
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Après avoir écarté, sans explication convaincante, des candidats compétents lors des deux premières mises au concours, la commission s’est faite unanime pour proposer le commandant de la police bernoise. Lors de cette dernière fournée, il y avait une douzaine de dossiers déposés, dont six jugés sérieux et deux retenus pour l’audition finale. Oubliée, l’ambition de dénicher une sorte de pointure de la poursuite pénale, une femme ou une personnalité qui crève un tant soit peu l’écran. Les critères qui ont présidé à la décision de la commission demeurent assez obscurs, mais ce choix correspond finalement à une vision plus alémanique et «fonctionnarisée» du poste. Stefan Blättler a un profil qui rassure, ne fait pas de vagues et n’est pas l’objet d’attaques préventives. Il tire surtout une épine du pied de ce cénacle de parlementaires déchirés.
Des priorités encore floues
Un rapide tour d’horizon confirme l’importance de ce facteur tranquillité. Le conseiller national Christian Lüscher (PLR/GE) évoque «le soulagement d’avoir mis un terme à cette saga en ayant trouvé une personne qui a le sens de la direction et qui amène de l’apaisement». A gauche, l’ambiance est à la résignation. Baptiste Hurni (PS/NE): «C’est un candidat consensuel qui bénéficie d’une bonne réputation. On espère qu’il saura rétablir le calme dans la maison et dans ses rapports avec le politique. Même si on peut regretter un manque de flamboyance, cette solution permet de préserver le MPC des attaques visant à l’affaiblir.» Lisa Mazzone (Verts/GE) se montre plus dubitative: «On peut se demander si ce candidat a le profil et les compétences nécessaires pour permettre un pilotage correct du parquet fédéral. J’ai encore une inquiétude à ce sujet. La commission judiciaire a fait son analyse et on espère qu’elle sera la bonne.»
L’audition récente par les groupes parlementaires n’a pas démenti cette image de grand commis modèle, plurilingue, très réservé et très carré, sans idée ou priorité particulière en matière de lutte contre la corruption ou la grande criminalité financière, hormis l’application de la loi et l’effort de raccourcir autant que faire se peut la durée des enquêtes. Il peut néanmoins se targuer du fait que son activité à la tête de la police – également autorité de poursuite pénale – l’a déjà familiarisé avec des dossiers de traite d’êtres humains ou de cybercriminalité.
L’âge et la mission
L’âge du candidat aurait pu être un obstacle. Pour le surmonter, les Chambres fédérales ont modifié la loi en catastrophe afin de repousser le départ à la retraite à 68 ans et lui permettre d’occuper ainsi la place au moins cinq ou six ans. De quoi faire quand même plus que de la figuration. Contacté, Stefan Blättler n’a plus souhaité s’exprimer publiquement à l’approche de l’élection et renvoie à ce qu’il a déclaré à la mi-août. «Le MPC a maintenant besoin d’une personne qui a déjà résolu des problèmes compliqués. Une personne qui peut créer un changement, comme je l’ai déjà fait à la police cantonale bernoise en créant une police unique.»
Les enjeux au niveau du parquet fédéral, dont la mission est de s’attaquer à la grande criminalité internationale, sont bien différents. Mais, qui sait, le futur élu pourra toujours surprendre son monde.
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