Dix ans après le Livre blanc, Avenir Suisse ravive le débat sur la réforme des institutions
DYNAMISATION
Faut-il simplifier le fédéralisme? Redessiner la carte du pays? Créer de nouveaux échelons institutionnels? La discussion renaît en hommage à l'esprit pionnier de David de Pury et de ceux qui l'ont accompagné dans sa démarche
Le Livre blanc de l'économie a dix ans. Le pamphlet écrit par David de Pury et dix-huit autres personnalités de l'économie avait provoqué un formidable tollé, par son style et l'audace des mesures envisagées. L'anniversaire de ce «best-seller» politico-économique et la parution d'un ouvrage-bilan (1) signé Ernst Baltensperger, professeur à l'Université de Berne, ont incité, hier soir à Zurich, Avenir Suisse et l'Association Société civile à analyser les réformes entreprises dans notre pays. Depuis 1995, un thème s'est clairement ajouté aux discussions: celui des institutions.
Aucun débat sur les réformes de la Suisse ne s'affranchit d'un chapitre sur ce sujet. Faut-il simplifier la démocratie directe et réduire le fédéralisme? Frein à une redynamisation de l'économie, le «cartel des cantons» doit-il être rediscuté? Faut-il redessiner la carte du pays? Ernst Baltensperger n'en est pas convaincu, même s'il y consacre un chapitre. Le raisonnement s'appuie excessivement sur les succès de quelques démocraties parlementaires et oublie les échecs, explique-t-il. De son côté, Avenir Suisse, l'un des pionniers de cette réflexion réformatrice, se sent mal compris. Ses récentes propositions de réformes institutionnelles «ne se résument pas à l'idée de créer un quatrième niveau de pouvoir, au-dessus des cantons», selon Hansjörg Blöchliger, économiste au BAK Basel Economics, et auteur d'un autre livre, Le Chantier du fédéralisme (2). Cette idée ne vaut que pour les régions métropolitaines très fragmentées comme Bâle ou Zurich lorsque la coordination de certaines tâches s'avère très difficile, par exemple dans les transports, la santé ou la formation tertiaire.
La politique économique des cantons doit être changée. «Le défi ne réside pas dans la taille des cantons, mais dans leur encloisonnement, leur repli sur soi», selon Hansjörg Blöchliger. Par exemple sur le marché de l'électricité, où les entreprises sont limitées par la taille du canton. Leurs coûts de production sont bien plus élevés. En Suisse, l'entreprise dispose d'une moyenne de 1000 à 2000 clients, en Angleterre 1,8 million. Hansjörg Blöchliger s'étonne même que nos coûts ne représentent que le double de ceux que l'on rencontre ailleurs.
Le problème principal du fédéralisme réside dans le manque de marché intérieur, tel qu'il existe ailleurs, par exemple dans l'UE. Avenir Suisse ne veut pas s'en tenir à une loi sur le marché intérieur, «une voie nécessaire, mais timide et peu visionnaire». En réalité, le quatrième palier existe déjà aujourd'hui, à travers les concordats cantonaux, «mais ils ne sont pas très démocratiques, ni très stables». Les concordats ne peuvent pas prendre de décisions à la majorité. L'opposition de deux ou trois cantons peut bloquer un choix accepté par 60% de la population, selon Hansjörg Blöchliger.
Avenir Suisse propose la création de ce qu'il nomme «un marché intérieur plus». La notion dépasse celle du Seco, qui veut éliminer les obstacles à la concurrence. Elle englobe la politique régionale, le droit des subventions locales et cantonales, les soumissions publiques et surtout le marché intérieur sur les services publics en réseau, à savoir l'électricité, les transports, les écoles primaires et secondaires. Le marché intérieur recouvre ici tout ce qui touche au libre-échange entre les cantons, pour éviter que leur faible taille n'engendre de petits et coûteux monopoles territoriaux, selon l'expert du BAK. Il faut par exemple élargir les associations de transports à toute une région métropolitaine.
Deux changements majeurs doivent être entrepris. D'une part une réforme territoriale, pour étendre l'envergure d'une prestation, d'autre part une libéralisation de certaines prestations, comme l'électricité, les transports publics, la santé. «Cette mise en concurrence est vitale pour baisser les prix et finalement sauver le fédéralisme», juge l'économiste. Sans ces réformes, la Confédération prendra la place des cantons, comme dans la politique universitaire. Pour l'instant, la seule concurrence qui existe entre cantons et communes porte sur les impôts. Il faut introduire cette notion de concurrence ailleurs.
1. Mut zum Aufbruch, 10 Jahre danach, Ernst Baltensperger, Orell Füssli, 2005, 138 p.
2. Baustelle Föderalismus, Hansjörg Blöchliger, Avenir Suisse, Verlag NZZ, 414 p.