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Au domaine de La Lance, Madame de Chambrier entrouvre la porte du cloître de ses ancêtres

Propriété privée depuis la Réforme, l'ancienne chartreuse de La Lance, à Concise, abrite le seul cloître gothique subsistant dans le canton de Vaud. Nécessité faisant loi, les propriétaires ouvrent peu à peu un domaine et un patrimoine méconnus du grand public.

Au sortir d'un couloir obscur, le visiteur débouche dans la clarté gothique d'un ensemble miraculeusement préservé. «Le seul cloître médiéval subsistant dans le canton de Vaud, ce n'est pas rien!» s'exclame Ariane de Chambrier en montrant sa maison. C'est La Lance, à Concise, sur la rive vaudoise du lac de Neuchâtel. Fondée au XIVe siècle par les dynastes de Grandson, l'ancienne chartreuse a été, après la Réforme, la maison de campagne de baillis bernois puis d'aristocrates neuchâtelois. «En 1794, le domaine a été acheté par Jacques-Louis de Pourtalès pour son fils Louis. Ce sont les fondateurs de l'Hôpital de Neuchâtel, je descends d'eux par ma mère.»

Blottie entre le lac et les pentes du Mont-Aubert, la Lance est un bijou. Il n'y a pas que le cloître: le jardin en terrasses, au pied des vignes, l'ensemble des bâtiments ruraux et leur cour aux pavés ronds, la longue façade sur les champs réservent aussi de jolies surprises. Surtout, c'est un bijou de famille, réservé pendant très longtemps à ses habitants. Malgré sa réputation certaine parmi les historiens et amateurs d'art, ce patrimoine reste méconnu du public.

L'exemple de Jussy

Depuis quelques années, pourtant, il a bien fallu faire de la pub. «Les choses ont dégringolé quand nous n'arrivions plus à tourner avec la vigne. Il faudrait que la maison elle-même rapporte, c'est devenu beaucoup trop lourd pour la génération suivante.» Alors, avec prudence, à pas comptés, Madame de Chambrier a entrouvert la porte de sa maison, mûrissant longuement chaque nouvelle idée avant de passer à la réalisation. Elle est allée au château de Jussy (GE), chez les Micheli, pour voir comment ils faisaient. Une ouverture lors des Journées du patrimoine, attirant un millier de personnes, a démontré l'intérêt du public. Un premier local a été aménagé pour les dégustations. La cave à vin voûtée, rebaptisée salle du prieur – elle occupe l'emplacement de l'ancienne église –, a ensuite été louée pour des repas. Depuis deux ans, des visites commentées sont organisées durant l'été (voir encadré). Et au printemps dernier, la propriétaire a proposé pour la première fois la salle à manger et le grand salon qui donnent sur la terrasse et le lac: de jeunes mariés ont donné leur réception sous le regard sévère des ancêtres d'Ariane de Chambrier.

«Retour dans le passé»

«Nous voulons conserver ce caractère privé et de retour dans le passé, c'est ce que veulent les gens qui viennent nous voir, souligne-t-elle. Au moment où tout éclate et se globalise, il est important de retrouver ses racines.» Stéphane Sandoz, le viticulteur de La Lance, doit accepter avec patience le lent cheminement de la maîtresse des lieux. Il appartient à une autre dynastie, celle des fermiers qui s'occupent du domaine (60 hectares), de père en fils depuis quatre générations. Il est, lui, un grand partisan de l'ouverture. La crise du chasselas a poussé à la diversification et à la vente sur le domaine. On a planté du pinot noir – comme du temps des moines –, auquel le terroir calcaire de Bonvillars est favorable. Mais il a fallu reporter à des temps meilleurs le rêve de produire sur place: on vinifie à Boudry (NE).

Le domaine appartient à une hoirie, celle d'Hugues Jéquier, le père d'Ariane de Chambrier. Quatre frères et sœurs et neuf petits-enfants sont concernés. «Je tiens une petite chronique des travaux et des projets, pour que tout le monde soit informé et, chaque année, on se retrouve en Suisse ou en Angleterre. Ariane de Chambrier n'habite pas La Lance à l'année, ni aucun des siens. L'été retrouve un peu de l'animation d'autrefois. Ses fils, ses frères et sœurs y viennent avec leur famille. Dans la vaste demeure, chacun a son coin.»

Et demain? Les propriétaires ont songé à mettre en location le pavillon de Pourtalès, mais Ariane de Chambrier devrait alors renoncer aux pièces qu'elle occupe lors de ses séjours. Un jour ou l'autre, elle le sait, elle devra passer la main. Pour l'heure, elle a un autre sujet de préoccupation: «Ces vitres! Oui, celles de la bibliothèque, elles ont 200 ans et menacent de s'effondrer.»