Genève
Dès samedi, les droits de visite en présence de tiers, dans les Points rencontre, sont suspendus. Une mesure sanitaire qui redouble l’angoisse des parents. Le problème touche aussi la garde alternée

Au téléphone, ses larmes ont interrompu ses paroles. Ce Genevois devait voir prochainement ses enfants dans un Point rencontre, le coronavirus en a décidé autrement. Depuis samedi, les droits de visite sous surveillance d’un tiers ont été interrompus jusqu’à nouvel ordre: «Je ne sais pas quand je reverrai mes enfants, raconte ce père de deux petits. On pourrait profiter du confinement pour partager un peu, il n’en est rien. J’ai demandé à mon ex-épouse de m’envoyer au moins un «OK» chaque soir, juste pour me signaler que les enfants sont en bonne santé. Elle ne l’a pas fait. Cette épreuve devrait servir à nous rendre meilleurs, au lieu de cela le sadisme prévaut encore.» Dans les séparations conflictuelles, il était à prévoir que ce virus serait une nouvelle arme entre les belligérants.
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La société tout entière tournant au ralenti, dans l’attente du pire, les services de l’Etat, comme le Service de la protection des mineurs (SPMi), n’assurent que les urgences. «L’augmentation potentielle de la maltraitance envers les mineurs est une préoccupation majeure du SPMi et elle est prise en compte dans l’organisation mise en place pour faire face au mieux, explique Pierre-Antoine Preti, porte-parole du Département de l’instruction publique. Le DIP mobilise l’ensemble des collaborateurs (par exemple les éducateurs du Réseau d’enseignement prioritaire, dont les activités sont en «stand-by» parce que les écoles ont fermé) pour venir en soutien, sur base volontaire, au travail des collaborateurs du SPMi.»
Pour les parents dont la mise en place des visites était en cours et qui n’ont pas vu leurs enfants depuis des semaines, voire des mois, c’est très angoissant et douloureux.
En revanche, les droits de visite dits médiatisés (avec la présence proche et continue d’un intervenant) dans les Points rencontre de la Fondation officielle de la jeunesse (FOJ) seront suspendus dès samedi: «C’est une requête du pouvoir judiciaire, puisque la présence d’un tiers ne permet pas de respecter les mesures sanitaires au sein des locaux», explique Bruno Chevrey, secrétaire général de la FOJ à Genève.
«Angoissant et douloureux»
Il en va de même pour les cabinets privés qui assurent ce travail. Au Centre de consultations enfants, adolescents, familles (CCEAF) à Genève, un cabinet médico-psychologique pluridisciplinaire, le travailleur social Marc Genthon en est bien conscient: «Pour les parents dont la mise en place des visites était en cours et qui n’ont pas vu leurs enfants depuis des semaines, voire des mois, c’est très angoissant et douloureux. De plus, comme les mesures arrêtées par le Conseil fédéral ne sont pas discutables aux yeux de la loi et qu’aucun recours n’est possible, ils se sentent totalement démunis.»
Si la situation devait perdurer, les intervenants craignent que la suspension des contacts ne péjore encore le lien, déjà ténu avant l’épidémie. Le CCEAF réfléchit donc à des alternatives de communication, comme un soutien psychologique en ligne, la mise en place de contacts téléphoniques, des rencontres en vidéoconférence. Cette dernière solution a le défaut majeur de ne pas donner à l’intervenant une possibilité d’intervention en cas de dérapage du parent.
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«Pour ceux qui, en temps normal, ne voient leurs enfants que dans les Points rencontre, c’est la double peine», atteste Nathalie Riesen, experte en relation d’aide aux victimes de relations toxiques et intervenante en soutien psychosocial. Déjà astreints à des contacts surveillés, les voilà privés de cette ultime perspective.
La problématique touche aussi plus largement les nombreux parents en situation de garde alternée: «Dans l’incertitude d’un confinement général, les parents ne savent pas s’ils vont revoir de sitôt leurs enfants qui, par exemple, passent le week-end chez leur ex, note cette professionnelle. Que leur dire? On ne sait pas. Ce doute va provoquer des instrumentalisations supplémentaires.»
Pour certains parents gardiens, le coronavirus est le prétexte idéal pour différer les contacts prévus entre enfants et ex-conjoints. Il est à craindre de nombreuses victimes collatérales du virus qui ravage le pays.