«Vous voulez connaître rapidement le verdict des votations fédérales? Venez chez nous!» La commune d’Ebikon, dans la couronne de Lucerne, convie les journalistes à une «conférence de presse suivie d’un snack», dimanche à 14h00.
Daniel Gasser, président PDC de la commune, ne sait pas trop qui répondra à son invitation. Mais il n’allait pas rater l’occasion de ce petit coup de pub. Des chercheurs de l’EPFL viennent d’annoncer, après analyse de trois décennies de scrutins fédéraux, que les chiffres d’Ebikon, passés à la moulinette d’un modèle statistique, permettent de prédire «avec 96% de certitude» ceux du pays.
Du coup, voici Ebikon rebaptisé «Predikon». Cela fait du bien, c’est plus valorisant que l’autre surnom qui lui colle à la peau : «Amplikon», pour le nombre de feux de signalisation qui marquent la traversée de la localité.
Cette localité plus suisse que toutes est d’abord connue comme une route. Ebikon s’étend sur plusieurs kilomètres de part et d’autre de la cantonale Lucerne-Zoug, qui est en partie à quatre pistes. Ce jour de novembre, dans la grisaille du plateau, l’artère bordée de garages et de locaux commerciaux parait longue comme un jour sans pain. Davantage que l’église baroque, un peu perdue dans l’urbanisation, c’est le très visible M-Parc qui nous rappelle qu’on est en terre catholique: le centre commercial annonce qu’il sera ouvert jusqu’à 18h30 le 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception.
«Ici, on pense différemment»
En 2011, la commune a refusé nettement de fusionner avec Lucerne, sa voisine. «J’étais moi-même contre, se souvient Beat Knapp, un imprimeur qui préside l’association locale des arts et métiers. Ici, on pense différemment, alors que la ville, sans être Zurich ou Berne, est marquée par une forte tendance rose-verte», ajoute ce «défenseur de la classe moyenne.»
La commune a beaucoup grandi ces dernières années, elle compte près de 13 000 habitants. Les Zougois viennent y habiter, chassés de chez eux par le coût du logement. La transformation a commencé dans les années 50, avec l’arrivée de Schindler. Le géant de l’ascenseur a placé son siège social sur Nidwald, mais c’est le plus grand employeur de la commune. Sa tour à mirador, qui domine le paysage, est le symbole de la localité.
Schindler a vendu de vastes terrains dont elle n’avait plus l’usage, pour qu’on y construise un centre commercial. La première pierre du «Mall of Switzerland», financé par une filiale du fonds souverain d’Abou Dabi, a été posée cet été. Ce sera l’un des plus grands de Suisse. Les habitants, qui seraient plus partagés aujourd’hui, ont plébiscité le projet en 2006. «Quand Schindler veut quelque chose, cela se fait», note Kilian T. Elsasser, un muséographe qui vit à Ebikon depuis 25 ans et déplore «le manque d’imagination» de cette nouvelle affectation. En prévision du «Mall», la commune a obtenu un raccordement à l’autoroute A14, qui passe pour le plus cher de tout le canton.
Au village
On dit encore «le village», même si cela n’y ressemble plus guère. Une cité-dortoir, Ebikon? «Pas du tout, se récrie l’imprimeur Beat Knapp. La vie associative est très riche, il y a la guggenmusik, les sociétés de sports. Dans la rue, on trouve toujours quelqu’un à saluer.» On vient de loin pour la Chilbi (kermesse) et il y a même un carnaval. Kilian Elsasser, qui a longtemps travaillé au Musée suisse des transports, fait la distinction entre le quartier résidentiel du haut, dont les habitants dont plutôt bobos et tournés vers Lucerne, et l’ancien village, en contre-bas, resté plus conservateur.
Les charmes d’Ebikon sont cachés à celui qui ne fait que passer par la route cantonale. On les trouve derrière, sur les pans qui forment le vallon, où se concentrent les habitations. La nature est toute proche, le Rotsee offre un cadre idyllique pour l’aviron.
Que votera donc dimanche cette localité moyenne? Le pronostic du président Daniel Gasser est le même que celui des sondages, trois fois non: «Ecopop est beaucoup trop radicale, les forfaits sont peut-être le sujet le plus incertain.»
Une commune sans parlement
Mais l’objet qui agite le plus Ebikon est local : pour ou contre l’introduction d’un organe délibératif. Depuis que l’assemblée de commune, qui n’était plus guère fréquentée, a été supprimée, il y a quelques années, Ebikon n’a plus de parlement communal. A cet égard, la commune suississime est plutôt un « sonderfall ». L’exécutif, s’appuyant sur des commissions consultatives, soumet directement au verdict des urnes le budget, les comptes, les plans de zone.
On le voit sur les affiches : ce n’est pas l’UDC, pour une fois, qui prône la suprématie de la démocratie directe. Allié au PLR, au PS, aux Verts libéraux et aux Verts, ce parti milite au contraire pour la création d’une nouvelle autorité élue au système proportionnel. Seul le PDC, qui reste le parti le plus fort, tient pour le statu quo. «Personne ne parie sur le résultat, note René Friedrich, architecte et partisan du changement comme président du PLR local. Le Conseil des habitants a déjà été refusé trois fois par le passé. Mais avec la taille atteinte par la commune, on ne peut plus se contenter de dire oui ou non à un projet officiel, il faut que la population puisse le façonner. »
Kilian T. Elsasser a intitulé «Sweet home Ebikon» la page Facebook qu’il consacre à sa commune et pour laquelle il photographie sans cesse détails et gros plans. Pas pour en vanter les beautés. Ni pour en dénoncer la laideur. Pour témoigner de la volonté de l’homme de façonner en petit ou en grand son environnement. «Ebikon est un lieu qui se laisse habiter, plein de contradictions passionnantes, comme la Suisse.»