C’est la phrase de l’article constitutionnel sur l’immigration que l’on a tendance à oublier: elle dit qu’il faut tenir compte «des intérêts économiques globaux de la Suisse» lorsque l’on fixe «les plafonds et les contingents annuels pour les étrangers exerçant une activité lucrative». Or, deux ans et demi après l’adoption de l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse», il apparaît clairement que les «intérêts économiques globaux de la Suisse» ne passent pas par des contingents.

L’ancien conseiller fédéral Pascal Couchepin l’a souligné dans une interview accordée au Temps et sur le plateau d’Infrarouge: «Contingents et intérêts de l’économie: lequel des deux objectifs l’emporte-t-il sur l’autre?», s’interroge-t-il. Ce conflit d’objectifs ne fait que traduire l’incompatibilité entre la fixation de quotas de main-d’œuvre européenne et l’accord sur la libre circulation des personnes. Pascal Couchepin considère qu’il faudra régler cette contradiction, par exemple en «renonçant totalement aux contingents».

Deux accords jugés primordiaux

Les intérêts de l’économie ont été documentés dans deux enquêtes menées en 2015 auprès de 7000 entreprises représentant 1,2 million d’emplois. Mené par Swissmem et Economiesuisse en collaboration avec les deux grandes banques, ce sondage a démontré qu’au moins deux traités du premier paquet d’accords bilatéraux étaient jugés primordiaux: celui sur la libre circulation des personnes est qualifié d’important par 76,5% des sondés et celui sur la suppression des obstacles techniques au commerce par 63,6%.

«Pour les entreprises, il est de la plus haute importance que les accords bilatéraux soient maintenus. {…} Les entreprises plaident clairement pour un système de contingent tenant compte des besoins de l’économie», ont relevé les auteurs de l’enquête. Or, les premières conclusions de la Commission des institutions politiques (CIP) du Conseil national, qui planche sur la mise en œuvre de l’article constitutionnel, montrent que ni contingents, ni plafonds ni préférence nationale à l’embauche ne respectent l’accord sur la libre circulation (LT du 02.07.16).

Il s’engage ainsi un bras de fer entre l’UDC, qui exige quotas et plafonds, et les milieux économiques. Ce bras de fer s’est invité dans les débats de la CIP. Parmi les 24 amendements déposés par les membres de l’UDC, plusieurs visent à éliminer cette contradiction au profit de contingents stricts: Gregor Rutz (ZH) et Andreas Glarner (AG) demandent de supprimer toute mention des «traités internationaux conclus par la Suisse» et des «obligations internationales de la Suisse», ce qui ferait primer les quotas sur les accords bilatéraux.

Ils n’ont pas demandé de biffer la référence aux «intérêts économiques du pays», mais refusent que le Conseil fédéral fasse appel à une Commission de l’immigration pour tenter de concilier le seuil de déclenchement des plafonds migratoires avec la réalité économique. Cette commission inclurait les partenaires sociaux.

Menace d’initiative

Sans surprise, les exigences de l’UDC ne trouvent pas de majorité au sein de la CIP. Celle-ci privilégie la recherche d’une solution reposant sur une interprétation souple de la préférence nationale, sans contingents. En l’occurrence, les employeurs devraient annoncer les postes vacants aux offices de l’emploi et ne pourraient recruter hors des frontières que s’ils n’ont trouvé personne sur le marché indigène.

On s’achemine ainsi vers une solution flexible qui, surtout, ne mettrait pas en péril l’accord sur la libre circulation ni les sept autres traités qui lui sont liés. C’est la raison pour laquelle Christoph Blocher s’agite pour annoncer le lancement d’une initiative sur la résiliation des accords bilatéraux, une menace qu’il brandit depuis deux ans. S’il passe à l’acte, il aura les organisations économiques contre lui.

Même sans la Grande-Bretagne, qui sera encore membre de l’UE pendant un moment, celles-ci ne seront pas prêtes à lâcher un instrument qui les relie à un marché de 440 millions d’habitants. L’UDC risque d’être d’autant plus isolée que la consultation sur la loi d’application a montré que «presque tous les participants» ont jugé prioritaire de «préserver l’accord sur la libre circulation des personnes».