Les Eglises suisses combattaient le calvinisme raciste
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Nelson Mandela, peu après sa libération, est venu à Genève remercier le Conseil œcuménique des Eglises pour son soutien dans son combat
Quatre mois après sa sortie de prison, en février 1990, Nelson Mandela prend le chemin de Genève. Sa première sortie internationale, il la réserve pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), le Bureau international du travail (BIT) et le Conseil œcuménique des Eglises (COE), trois organisations qu’il tenait à remercier pour leur soutien durant sa détention ou dans son combat.
«C’est la première fois que je l’ai vu en chair et en os, se souvient Christine von Garnier, sociologue et journaliste ayant travaillé plus de vingt ans en Afrique australe et qui l’a applaudi au siège du COE. Il est resté plusieurs heures. C’était émouvant.» Nelson Mandela soulignera plusieurs fois par la suite le rôle des Eglises, des missionnaires et de la foi dans son parcours, rappelle le révérend Olav Fykse Tveit, le secrétaire général de l’organisation qui devrait se rendre la semaine prochaine en Afrique du Sud pour les funérailles.
Si les Eglises, en Suisse et ailleurs en Europe, se sont montrées si actives dans la lutte contre l’apartheid, c’est qu’elles avaient une responsabilité particulière. «C’est l’Eglise calviniste toute-puissante en Afrique du Sud et en Namibie qui a inventé l’apartheid en interprétant l’Ancien Testament, rappelle Christine von Garnier. Ils pensaient être le peuple élu. Il y avait les maîtres et les esclaves.» Du coup, les Eglises protestantes de Suisse, notamment, ont «toujours essayé de maintenir un dialogue [avec leurs consœurs d’Afrique du Sud] pour dire que cela n’allait pas». Des pasteurs genevois et vaudois sont partis en mission en Afrique du Sud dès la fin du XIXe siècle. «C’est le fils d’un pasteur de La Sagne et d’une mère bâloise, un certain André Jacquet, qui est devenu l’ambassadeur d’Afrique du Sud à Berne durant la transition avant la présidence de Mandela», se souvient Christine von Garnier. Francophone, celui-ci avouera plus tard à la journaliste l’avoir surveillée durant des années en Namibie pour le compte du gouvernement sud-africain.
Jacques Matthey, pasteur genevois à la retraite, a aussi œuvré pour le Conseil œcuménique des Eglises et son programme de lutte contre le racisme. Il était à Harare, en 1998, lorsque Mandela assistait à sa 8e assemblée. Que pensait-on dans la Rome protestante du système racial qui trouvait son inspiration théorique dans le calvinisme? Etait-ce sujet à débat dans la Cité de Calvin? «C’est une histoire très compliquée, répond Jacques Matthey. Il y avait toute une série d’Eglises rattachées à la réformation et elles étaient parfois divisées selon les races, en contradiction avec les Evangiles. L’avantage des Eglises est qu’elles avaient un réseau à l’écoute des gens.» Si l’Afrique du Sud n’a pas sombré dans un bain de sang, estime encore Christine von Garnier, ce n’est pas seulement grâce à la politique de réconciliation de Mandela. C’est aussi parce que l’Eglise calviniste a demandé pardon.
Gilbert Rist, qui fut un des principaux animateurs du mouvement anti-apartheid en Suisse, observe avec étonnement la récupération de Mandela, en particulier en France, pays dont le comportement envers le régime raciste de Pretoria fut «pire» que celui de la Suisse. Il rappelle qu’ils n’étaient qu’une poignée de sympathisants (tout au plus 2000) à avoir soutenu son mouvement créé en 1967.
«Nous avons travaillé dans l’ombre, avec peu d’écho. Nous étions fichés, en butte à l’establishment helvétique qui trouvait normal le commerce des entreprises suisses en Afrique du Sud au nom de la distinction entre économie et politique.» La Suisse avait une autre excuse, elle n’était pas membre de l’ONU et n’avait donc pas à s’aligner sur ses sanctions. «Aujourd’hui tout le monde dit que Mandela est un grand homme. Mutatis mutandis, un peu comme dans la France de 1944, lorsque tout le monde est devenu résistant. Cet hommage universel est légitime. Mais en Suisse, souvenons-nous de l’attitude des grandes banques envers ce régime.»
«Le comportement des Eglises est une histoire très compliquée»