Elisabeth Baume-Schneider, la semaine bouleversante
dejeuner avec...
La ministre jurassienne de la Formation parle de son admiration pour Joseph Voyame, le grand homme de son canton, décédé lundi dernier, et de sa décision de se représenter pour un troisième mandat, annoncée le lendemain.
Des émotions intenses. Même si elle s’applique à n’en rien montrer. Elisabeth Baume-Schneider a été bouleversée par deux événements concomitants, apparemment distincts mais intimement liés pour elle. Le décès de Joseph Voyame, lundi dernier, et la décision de briguer un troisième mandat au gouvernement jurassien, annoncée le lendemain.
La ministre accepte de chambouler son emploi du temps pour en parler. Elle aurait préféré déjeuner dans «ses» Franches-Montagnes, au Soleil à Saignelégier, mais l’agenda la contraint de se rabattre sur La Chaux-de-Fonds. «Ce n’est pas une punition. Je connais bien cette ville, j’y ai fréquenté l’école de commerce. C’est une belle ville, et les Franches-Montagnes y sont accrochées.»
Elle propose Exposition Sud, sur la place du Marché. «Mon oncle tenait la poissonnerie voisine.» Un atelier-café «moderne et simple, qui propose des produits de qualité à prix accessible». Elisabeth Baume-Schneider craque pour le ragoût de lapin aux olives, qui lui inspire la Toscane.
«Il était mon parrain.» En agitant les mains, la socialiste de 46 ans raconte sa «belle relation» avec Joseph Voyame. C’était en 2002, elle voulait devenir ministre. «Je suis allée le voir à Saint-Brais, au culot. Je ne le connaissais pas.» Pour lui demander de cautionner sa candidature. Bien que PDC, le père de la Constitution du Jura accepte. Elle s’extasie devant son intelligence, «sa rigueur intellectuelle, sa liberté de choisir ce qu’il voulait faire, son plaisir parfois enfantin de vivre les choses. Un homme très exigeant et si détaché. Ça donne envie. J’étais allée lui rendre visite à l’hôpital il y a dix jours. Le voir allongé, presque échoué, m’a saisie. L’avoir côtoyé donne confiance et invite à s’imprégner de sa philosophie faite d’ouverture et de solidarité.»
L’hommage est absolu. Elle en oublie sa soupe, dit sa fierté de «l’avoir tutoyé. C’était à l’hôpital, il m’avait dit : la prochaine fois que vous viendrez, on se dira tu.»
A la veille des obsèques de Joseph Voyame, Elisabeth Baume-Schneider a annoncé, face au congrès du Parti socialiste jurassien, qu’elle souhaite gouverner une législature de plus, «la dernière». Elle l’a dit en peu de mots, elle la bavarde, laissant ses camarades l’applaudir longuement. «J’ai douté. J’ai eu envie de retrouver ma liberté, tiraillée par un choix de vie. Je me suis demandée si je ne serais pas plus utile, ou plus à l’aise, dans une ONG. J’aime le contact direct des gens. J’adorais mon job d’assistance sociale.» Son environnement familial l’a aussi interpellée. «Si je gouverne jusqu’en 2015, mon fils Théo sera sorti de l’école.» Elle l’a mis au monde durant son année de présidence du parlement, en 2000. « Mes enfants ne souffrent pas de mon mandat politique, mon mari fait tourner la maisonnée au quotidien. Ils sont ma force, mes ressources.»
Son amour de la politique l’a emporté. Pourtant, son entrée au gouvernement, en 2003, fut pénible. Son élection avait fait pencher le gouvernement au centre-gauche. Croyait-on. Face aux ministres en place de longue date, elle en a bavé. Jean-François Roth l’avait comparée à un «vélo militaire», avec lequel on ne pouvait pas gagner Paris-Roubaix. «On m’a bizutée», lâche Elisabeth Baume-Schneider, lorsqu’on évoque la décision du Conseil d’Etat de contraindre les enseignants à travailler une heure de plus par semaine. Elle avait rompu la collégialité, crié son désaccord.
Au fil des mois, Elisabeth Baume-Schneider a tissé une relation professionnelle forte avec Jean-François Roth. Elle fait de même, à présent, avec un autre ministre PDC que tout ou presque oppose à ses convictions, Charles Juillard. «Je suis fascinée par les gens intelligents, vifs d’esprit, drôles. Qui veulent que ça bouge, osent prendre des risques.»
Elle écarquille les yeux devant le ragoût de lapin qu’on lui sert, prend une gorgée de vin toscan. Elle veut retourner cet été à Montepulciano, en famille. «On y était l’an passé, c’est la première fois que les enfants n’ont pas demandé à vouloir rentrer.»
En sept ans de gouvernement, a-t-elle changé? La militante socialiste est devenue femme d’Etat. Il n’y a plus eu de rupture de collégialité, malgré le retour à une majorité de droite en 2006. Elle a même voté l’amnistie fiscale présentée par Charles Juillard. «J’ai dit d’accord, à condition de davantage combattre la fraude. L’amnistie fiscale reste un concept qui me heurte, mais il est acceptable à sa sauce jurassienne.»
Minoritaire, la socialiste sait qu’il est préférable d’apporter ses nuances aux décisions, plutôt que d’y opposer des dogmes, sans succès. Elle se qualifie d’«adjuvant» au Conseil d’Etat, lui insufflant «mes valeurs de femme de gauche, avec lucidité et pragmatisme.»
Son chantier majeur, c’est l’école. Jurassienne et romande. Elle préside depuis 2009 et pour quatre ans la Conférence des ministres de l’instruction publique de Suisse latine, la CIIP. Dans le Jura, Elisabeth Baume-Schneider force aux regroupements d’écoles. «Je préfère me confronter, déplaire, que laisser aller.» Laisser faire la démographie, en recul dans les campagnes, générant des fermetures de classes. La socialiste redessine la carte scolaire, «pour donner aux enfants le meilleur cadre possible».
La ministre s’est également exposée aux critiques, jusque dans son parti, lorsqu’elle a ouvert l’été passé une classe bilingue à Delémont. Elle est allée au bout de sa stratégie consistant à renforcer l’apprentissage des langues, de l’allemand en particulier, pour favoriser le rapprochement avec Bâle. Et d’affirmer que la présence d’une enseignante germanophone dans l’école jurassienne constitue un «formidable stimulant». Elle espère finaliser bientôt la maturité bilingue associant les lycées de Porrentruy et de Laufon.
Rêve-t-elle d’une école romande harmonisée ? «Nous avons une mosaïque d’écoles, désormais en mouvement. L’objectif est d’avoir une vision commune. Nous n’en sommes plus aux déclarations d’intention. Avec le plan d’étude commun, nous sommes dans la mise en œuvre. J’ai la chance d’y tenir un rôle important.»
Que pèse-t-elle, petite Jurassienne, face aux «géant » vaudois et genevois, ou aux premiers de classe fribourgeois et valaisans? «C’est un avantage de provenir d’un canton qui ne vit pas de conflit scolaire. L’objectif est d’avoir une école crédible. Je montre que ça fonctionne dans le Jura.»
Déjeuner avec une ministre jurassienne à La Chaux-de-Fonds, serait-ce un signal en faveur du canton de l’Arc jurassien? Elisabeth Baume-Schneider pose énergiquement sa fourchette et dit un «non» sec. «D’accord d’y réfléchir, de multiplier les collaborations, mais le projet de canton de l’Arc jurassien n’arrive pas à un moment opportun. Il n’aurait de sens que dans une refonte globale de la Confédération.»
Et de vitupérer contre cette idée selon laquelle le Jura, trop petit, doit se fondre dans un ensemble plus grand. «Il faut distinguer le poids économique de la légitimité d’avoir le droit à la parole. Le canton du Jura existe, sa création était juste et nécessaire, ce n’était pas qu’un combat idéologique conjoncturel. Je trouve incorrects ces regards condescendants portés sur mon canton.»
Elle soutient le programme de l’Assemblée interjurassienne, pour un canton des Juras à six communes. «Les gens doivent pouvoir voter sur ce projet.» Précisant que la réunification ne saurait être l’unique dessein d’un Jura qui doit collaborer toujours plus fortement avec ses voisins. Francophones et bâlois.
«Je suis fascinée par les gens intelligents, vifs d’esprit, drôles. Qui veulent que ça bouge»