Un message met en garde sur la porte d'entrée de l'EMS de Klus Park, à Zurich: «Pour protéger nos résidents du coronavirus, nous vous prions d'éviter les visites, même si vous ne présentez pas de symptômes de maladie.» Les jeunes et les enfants doivent à tout prix se tenir à distance, précise la notice, car ils peuvent être porteurs du virus sans se sentir malade.

Jeudi soir, les autorités zurichoises annonçaient l'extension de l'interdiction de visite à tous les établissements médicaux du canton: maisons de retraites, mais aussi hôpitaux, au moins jusqu'au 30 avril. «Il est interdit à toute personne de rendre visite aux patients dans un hôpital» indique le communiqué du département de la santé. Les institutions peuvent toutefois accorder des exceptions au cas par cas, pour les parents d'enfants, les partenaires de mères qui accouchent ou face à des patients en soins palliatifs. 

Comme Zurich, d'autres communes, cantons et établissements dans le pays mettent en place des mesures pour restreindre les contacts des personnes âgées avec le monde extérieur. Avec comme conséquence un isolement toujours plus certain des aînés. La situation ne touche pas seulement les EMS. L'OFSP recommande de manière générale aux seniors et aux personnes à risque d'éviter autant que possible les visites des petits-enfants, les centres commerciaux ou les transports publics aux heures de pointe.

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Colocation d'un nouveau genre

A l'EMS de Klus Park, mardi soir, cinq résidents fuient la solitude pour participer à une soirée de discussion organisée par trois étudiantes: Jana, Anina et Neva. Les jeunes femmes entre 19 et 25 ans vivent dans l'EMS. Cette colocation, inédite en Suisse, vise à favoriser les échanges entre générations: les étudiantes, qui occupent un appartement de quatre pièces dans le même bâtiment, bénéficient d'une réduction de loyer en échange de services ou d'animations offerts aux pensionnaires: jeux, lectures, cuisine, balades, écriture de lettres, ou encore conseils pour manier son smartphone. Ce dernier point s'avère particulièrement crucial en temps de Covid-19, lorsqu'il n'y a plus que le téléphone pour maintenir le lien avec ses proches.

Ce sont bien les échanges entre générations qui sont mis à mal par l'épidémie. Les résidents de Klus Park ont tous reçu une lettre de l'EMS les avertissant des restrictions de visites. Alors ils se résignent, attendent que cela passe. Une dame, cheveux blancs coupés court, lunettes sur le nez, lève les épaules: «Le virus est devenu incontrôlable, nous devons nous y faire. Nous, les personnes âgées, nous le savons bien: nous sommes prédestinées.»

«Nous sommes quasiment en quarantaine»

Les directives, qui évoluent chaque jour, préoccupent aussi les professionnels et le personnel de soins. Dans l'EMS de Lancy, à Genève, la nouvelle est tombée comme un coup dur: les EMS sont aussi priés de limiter les visites au strict minimum et de privilégier les contacts téléphoniques. «Nous sommes quasiment en quarantaine», souligne le directeur, Laurent Beausoleil. Pour certains, c'est un drame. Le responsable de l'établissement raconte s'être retrouvé face à une résidente en pleurs, désemparée à l'idée de ne plus pouvoir retrouver ses proches. «Je n'y survivrai pas!» s'est-elle exclamée.

Ce n'était pas la première mesure. D'abord, les visites des enfants de la crèche voisine ont été annulées, puis les sorties au restaurant, au théâtre, aux bains. Cette semaine, c'était au tour des sessions de sport, organisées d'ordinaire par des jeunes du quartier, de passer à la trappe. Laurent Beausoleil redoute de rompre des liens précieux, tissés au fil du temps. Bien sûr, il faut protéger, dit-il: «La grande majorité de nos résidents sont vaccinés contre la grippe. Ce n'est pas le cas pour le coronavirus. Or, il s'agit d'une population au capital santé fragile.» Mais aussi éviter un isolement qui durerait trop longtemps. 

D'autant plus que la pression se fait sentir sur le personnel, dont l'encadrement ne peut se substituer aux contacts avec les proches. Au moindre signe de grippe, les employés ont pour consigne de rester à la maison. «Si nous étions amenés à travailler en effectifs réduits, nous nous concentrerions sur les soins et laisserions de côté les animations», souligne le directeur.

Pas tous les cantons à la même enseigne

Le médecin cantonal vaudois, de son côté, a renoncé à interdire les visites. Il recommande plutôt aux établissements de contrôler la santé des personnes venant de l'extérieur, si nécessaire en prenant leur température à l'entrée. «Penser que nous pouvons fermer les portes au virus est une illusion. Il nous semble plus important de maintenir les liens sociaux», souligne François Sénéchaud, secrétaire général de l'Association vaudoise d'institutions médico-psycho-sociales.

Pour la professeure en psychologie spécialiste du grand âge Daniela Jopp, le coronavirus place la société face à un nouveau défi dans son rapport à ses aînés. «Nous ne devons pas nous contenter de mettre les EMS en quarantaine, il faut trouver des moyens de maintenir le lien avec les personnes âgées pour leur bien-être mental et physique. C'est aussi une question de santé publique: il ne faut pas sous-estimer l'impact du sentiment d'appartenance sociale.»