«L’Union européenne est un écosystème de normes, de droits appuyés sur une régulation et une juridiction communes. C’est cela qui cimente la confiance entre nous. Les Britanniques ont décidé de quitter cet écosystème, ils ne peuvent être à la fois dehors et dedans. Mon impatience naît d’entendre à Londres trop de discours irréalistes.»

Notez bien ce mot: confiance. J’ai peur qu’entre la Suisse et l’UE, il ne corresponde plus à la réalité

Un ancien commissaire européen, ex-interlocuteur de la Confédération

Avis aux négociateurs suisses: cette phrase prononcée par Michel Barnier dans un entretien accordé ces jours-ci au groupe de presse régionale français EBRA vaut aussi pour Berne. Car dans les faits, le petit dossier bilatéral helvétique et le copieux divorce en cours avec Londres se chevauchent toujours plus. «Notez bien ce mot: confiance. J’ai peur qu’entre la Suisse et l’UE, il ne corresponde plus à la réalité», confie au Temps un ancien commissaire européen, ex-interlocuteur de la Confédération.

Le Brexit est un poison lent. Tous les observateurs le craignaient à Bruxelles. Et la réalité le confirme maintenant que l’avantage pris par l’Union et son négociateur Michel Barnier dans la première phase de négociations achevée en décembre – accord sur la facture d’environ 50 milliards d’euros à acquitter par Londres, garantie pour les Européens installés au Royaume-Uni et absence de frontière dure entre l’Irlande et l’Irlande du Nord – a laissé place aux sables mouvants des tergiversations sur l’union douanière, pour résoudre ou non la frontière irlandaise.

«Casse-tête politique, diplomatique, réglementaire»

Comment avancer dans ce marécage pour conclure avec les Britanniques un divorce en bonne et due forme à l’échéance prévue d’octobre 2018, en vue d’un départ de l’Union en mars 2019? «Ce que veulent les Anglais ressemble de plus en plus à un Bremain (contraction de Brexit et Remain), complète notre interlocuteur. Or outre que cela n’est pas possible, cette indécision teintée parfois de malhonnêteté est un casse-tête politique, diplomatique, réglementaire.»

Tout démontre que seules l’unité et la fermeté paient vis-à-vis des pays tiers. Nous devons savoir placer haut le curseur car nous avons un marché à défendre.

Bruno Le Maire, ministre français des Finances

La Suisse peut-elle, dans ce contexte d’énervement mutuel croissant, faire entendre sa différence? Peu probable. D’autant que le Brexit aiguise aussi certains appétits. La France d’Emmanuel Macron, par exemple, croit à sa capacité à attirer les établissements bancaires de la City depuis la décision, en novembre 2017, de transférer à Paris l’Autorité bancaire européenne, jusque-là basée à Londres. Paris n’a pas non plus envie d’apparaître comme trop conciliant vis-à-vis de la Suisse – qui ne digère toujours pas son placement sur la liste «grise» des paradis fiscaux établi par l’UE en décembre – alors que le procès UBS pour «blanchiment de fraude fiscale» et «démarchage illicite», du 8 octobre au 15 novembre, va mobiliser les médias.

Le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, insatisfait des avancées communautaires sur la taxation des GAFA, a d’ailleurs sermonné ses collègues lors de l’Eurogroupe du 24 mai, à la veille de la guerre commerciale déclenchée par Washington: «Tout démontre que seules l’unité et la fermeté paient vis-à-vis des pays tiers. Nous devons savoir placer haut le curseur car nous avons un marché à défendre.» Ce qu’un commissaire européen traduit d’une méchante phrase à l’intention de Berne avant la rencontre du 7 juin: «Alors que les Britanniques polluent les eaux communautaires, la Suisse, elle, s’honorerait de se montrer à la hauteur dans ses relations avec l’UE pour remettre à flot la relation bilatérale.»