Justice
Le Tribunal de police confirme la condamnation du député MCG pour infraction à la loi sur les stupéfiants. Et le remet sérieusement en place

Le Tribunal de police genevois a condamné jeudi Eric Stauffer à 45 jours-amende avec sursis et 2070 francs d’amende à titre de sanction immédiate pour infraction à la loi sur les stupéfiants. Confirmant par-là l’ordonnance de condamnation rendue en mai dernier par le procureur général Olivier Jornot. Le crime du président d’honneur du MCG? Avoir acheté, en compagnie d’un jeune membre du parti, deux boulettes de cocaïne à un dealer des Pâquis devant les caméras du MCG pour dénoncer la scène ouverte du trafic de drogue au centre-ville.
L’acolyte d’Eric Stauffer écope, lui, de 30 jours-amende avec sursis et de 840 francs d’amende à titre de sanction immédiate, le tribunal ayant estimé que son rôle était «secondaire quant à l’organisation de l’opération».
L’affaire remonte au 21 septembre 2013. Cette nuit-là, déterminé à démontrer à quel point il est facile d’acheter de la cocaïne dans les rues de Genève, Eric Stauffer remet 200 francs à son jeune collègue de parti et l’envoie acheter deux boulettes à un dealer africain. Le jeune homme s’exécute, il ramène la drogue – 2,2 grammes –, Eric Stauffer appelle la police et le dealer est interpellé. Toute la séquence est filmée par le MCG et mise en ligne sur le site du parti.
Absence de réflexion
Si le tribunal admet que «les prévenus n’ont effectivement pas eu pour intention ni de revendre, ni de consommer, la cocaïne achetée», il juge en substance que le but poursuivi par Eric Stauffer et son collègue de parti ne justifiait pas la commission d’une infraction qui a bel et bien eu lieu. Dans un arrêt de 17 pages, le tribunal ne ménage pas le trublion MCG.
Relevant que l’opération a été organisée «au pied levé, sans préparation et sans réflexion sur sa légalité», le tribunal estime d’abord qu’il existait «un risque, même faible, que la drogue finisse dans les mains d’un tiers». Ensuite «et surtout», précise le jugement, le tribunal retient que les prévenus ont remis 200 francs au dealer et que cette somme n’a jamais été retrouvée: «Ils ont volontairement introduit, respectivement accepté l’introduction, d’espèces dans le trafic de stupéfiants, espèces qui seront, selon toute vraisemblance, réinvesties dans ledit trafic».
Soulignant encore qu’il existait «d’autres moyens d’action» et que les deux élus MCG «avaient conscience du caractère illicite de leur comportement», le tribunal leur refuse le bénéfice d’un fait justificatif extra-légal. «Le seul fait que les possibilités politiques et juridiques légales semblent épuisées et que les commissions politiques démocratiquement légitimées, respectivement les organes de la justice, ne partagent pas […] les conceptions des prévenus, ne confère à ces derniers aucun droit de poursuivre leurs buts par des moyens punissables», écrit le tribunal.
Lequel conclut que «l’action entreprise par les prévenus n’est ni nécessaire, ni proportionnée, pour atteindre le but recherché, soit la lutte contre le trafic de stupéfiants». Et précise noir sur blanc qu’Eric Stauffer, «actuel député au Grand conseil et ancien membre d’un exécutif communal, est particulièrement bien placé pour savoir qu’il existe un arsenal législatif, judiciaire et policier pour lutter contre le trafic de stupéfiants; s’il estimait que cet arsenal devait être modifié, amélioré ou renforcé, il lui était loisible d’intervenir sur le plan politique, ce qui constitue d’ailleurs le but de son mandant électif.»
Le tribunal remarque enfin, pour Eric Stauffer comme pour son acolyte, que «la prise de conscience du prévenu est nulle, continuant encore à l’audience de jugement de défendre son comportement, pourtant manifestement contraire au droit.» Une absence de prise de conscience qui justifie «de le condamner à une amende à titre de sanction immédiate, afin qu’il saisisse la portée de son comportement, de même que pour le dissuader de récidiver à l’avenir», assène le tribunal.
«Un profond malaise»
Contacté, Eric Stauffer persiste, signe, et ne cache pas son courroux. «Il n’y a que la médiocrité qui ait le privilège de la durée, écrit-il dans un SMS à l’attention manifeste de la justice genevoise. Rendez-vous en appel… A vouloir justifier ma condamnation, certains se ridiculisent!» Son avocate, Me Yaël Hayat, confirme que son client fera appel de sa condamnation.
«C’est une décision stupéfiante, ose-t-elle. Il est très regrettable que le tribunal soit resté au premier degré. Il apparaît clairement qu’il s’agissait d’un trafic à blanc, avec un vrai vendeur mais un faux acheteur, qui a immédiatement appelé la police pour lui remettre les boulettes. Eric Stauffer voulait dénoncer le trafic de drogue. On pouvait critiquer la méthode, mais le faire entrer dans le panthéon des trafiquants, c’est comme faire entrer un agnostique dans un couvent: cela relève de l’absurde!»
Pour Yaël Hayat, «cette décision laisse un profond malaise. Aurait-elle été la même s’il s’agissait de quelqu’un d’autre qu’Eric Stauffer? Je m’interroge vraiment.» Et d’espérer que la Chambre pénale d’appel «saura prendre de la distance avec l’acte commis pour se concentrer sur sa finalité, qui n’était en aucun cas de compromettre la santé publique.»