Mobilisations
Galvanisés par leur succès, les étudiants activistes posent les jalons des prochaines «grèves scolaires pour le climat». Le mouvement peut-il durer?

Le succès de la grève des étudiants pour le climat du 18 janvier a surpris tout le monde, les militants en premier lieu. De quelque 400 personnes à Zurich mi-décembre, leurs rangs n’ont cessé de grossir, passant à 4000, puis 22 000 dans toute la Suisse, pour le troisième chapitre de cette manifestation en série. Exaltés, les étudiants appellent à de nouveaux rassemblements dans une douzaine de villes le 2 février. Ils ont choisi un samedi, pour toucher des cercles plus larges, invitant parents et grands-parents.
Maintenir la pression
La protestation se prolonge sur les smartphones dans d’innombrables échanges frénétiques à travers le pays sur des messageries. Les étudiants se sont aussi donné rendez-vous à Berne les 23 et 24 février pour un deuxième round de réflexions (le premier avait eu lieu le 30 décembre), destiné à structurer la suite du mouvement. Et le vendredi 15 mars, une nouvelle «grève scolaire» devrait avoir lieu simultanément en Suisse et dans d’autres pays du monde.
L’idée? Maintenir la pression jusqu’à ce que les pouvoirs publics entreprennent des actions concrètes pour répondre à leurs revendications: décréter un état d’urgence climatique et parvenir à un bilan net d’émissions de gaz à effet de serre liées à l’activité humaine de zéro d’ici à 2030.
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Soutien des députés vaudois au mouvement
A-t-on affaire à un sursaut passager, ou un mouvement voué à marquer durablement le paysage? «On a à peine commencé à inspirer. On ne pense pas encore à l’essoufflement», dit Gary, l’un des participants. L’heure est plutôt aux actions locales menées dans la foulée de la manifestation de vendredi. Mardi par exemple, un groupe de militants s’invitait dans la salle du Grand Conseil vaudois pour réitérer les appels à prendre des mesures pour le climat.
Un peu plus tôt, le parlement adoptait une résolution du Vert Raphaël Mahaim réclamant le soutien des députés au mouvement, leur audition par le gouvernement cantonal et «la prise en compte de leurs revendications dans le plan climat cantonal en cours d’élaboration». D’autres initiatives locales ont vu le jour, comme des propositions de bannir les voyages d’études en avion dans des établissements scolaires ou gymnases.
Un mouvement horizontal
Face aux partis et organisations traditionnelles, les activistes affichent leurs distances, tout en acceptant les mains tendues. «On se réjouit du soutien des partis, qu’il soit financier ou organisationnel, mais nous n’apporterons pas de contrepartie sous forme d’appel au vote par exemple», souligne Nicola, un militant zurichois. Le mouvement tient à rester horizontal, sans porte-parole ni meneur.
Or s’inscrire dans la longueur tout en maintenant une organisation lâche et déstructurée relève de la gageure: «Dans un premier temps, les réseaux sociaux facilitent la mobilisation. Mais à moyen et long terme, ils peuvent se révéler contre-productifs. Difficile de durer sans organisation qui prend le relais et soutient la mobilisation chaque jour», observe Marco Giugni, spécialiste des mouvements sociaux à l’Université de Genève.
Le chercheur dresse un parallèle entre la perte d’importance des partis politiques – à l’origine d’une volatilité croissante du soutien électoral – et l’émergence de mouvements tels que les «gilets jaunes» en France. «Ils se mobilisent rapidement, mais risquent d’être plus volatils.»
«Ils secouent leurs parents»
«Ces jeunes ne font pas que manifester dans la rue, ils secouent leurs parents», estime de son côté le conseiller aux Etats vert Robert Cramer, écologiste de longue date. Et la classe politique? «Les élus qui m’entourent sont très peu sensibles aux questions climatiques. Ils vivent encore dans un monde ancien, dans lequel nous n’avions pas à nous soucier de l’avenir. Mais s’il y a bien quelqu’un qui peut les convaincre de changer, ce sont leurs enfants. Ce mouvement va peut-être s’essouffler et disparaître. Mais c’est peut-être le point de départ d’un basculement. Pour cela, il faudra de la ténacité et de l’endurance».
«C’est un mouvement caractéristique des protestations de jeunes: sans compromis et pressé», remarque Werner Seitz, politologue. Auteur d’un livre sur les Verts, il pense que les grèves pour le climat peuvent profiter aux écologistes établis en leur donnant un souffle de l’extérieur. Mais c’est d’abord eux-mêmes que les activistes modèlent par leur action: «Ce genre d’expérience est à même de marquer durablement ceux qui y participent et deviendront des électeurs, ou des élus.»
En vidéo: la grève du 18 janvier 2019.