Elle a été harponnée à propos de la burqa. Venue à Genève expliquer pourquoi le Conseil fédéral rejette l’initiative anti-minarets devant des médias étrangers réunis au «Club suisse de la presse», Eveline Widmer-Schlumpf a dû justifier ses dernières déclarations sur ce voile intégral. Avec un brin d’agacement.

«Je suis étonnée de voir à quel point cette affaire a été montée en épingle par les médias», a-t-elle souligné. Le fait qu’elle ait évoqué une possible interdiction de la burqa, présente sur l’affiche controversée du comité qui milite contre les minarets, a été rapidement récupéré par les initiants. Voilà qui démontre que les musulmans sont mal intégrés et dangereux et que nous devons agir, disent-ils, en substance, en se frottant les mains.

Un avis personnel

Si les propos de la ministre de Justice et police ont suscité de la sympathie chez le président du PDC, Christophe Darbellay, ils ont aussi semé un certain malaise parmi les adversaires de l’initiative. Fallait-il vraiment venir avec ça maintenant? N’a-t-elle pas inutilement jeté de l’huile sur le feu en entrant dans ce délicat débat alors que le Conseil fédéral n’avait pas jugé nécessaire d’aller dans cette direction en 2007? La conseillère fédérale s’en défend. Elle rappelle avoir, à la base, simplement répondu à une question d’une chaîne de télévision thurgovienne portant sur son avis personnel sur la burqa: «Cette image ne m’est pas familière et me met mal à l’aise. La burqa ne pose pas de problème aujourd’hui en Suisse mais si cela devenait le cas, la Confédération pourrait alors examiner la question d’une interdiction.» Elle l’a répété deux fois mardi à Genève. Et a bien insisté sur le fait que les burqas sont aujourd’hui quasiment inexistantes en Suisse. «Ce sont plutôt des touristes qui en portent.»

A sa décharge, la ministre aurait probablement été épinglée de la même façon si elle avait cherché à relativiser le problème. Les mêmes initiants qui se frottent aujourd’hui les mains, à l’image d’Oskar Freysinger dans Le Matin, l’auraient alors probablement accusée d’encourager le port de la burqa… Dans une campagne aussi sensible, chaque mot compte. Et les risques d’instrumentalisation sont élevés.

«Pas de problème»

Avant de devoir aborder ce thème – elle s’y était préparée à en juger ses notes –, la conseillère fédérale a défendu les arguments du Conseil fédéral contre l’initiative. Deux questions en particulier ont préoccupé les médias étrangers, notamment représentés par un journaliste qatari et une collègue égyptienne. Comment le Conseil fédéral a-t-il pu déclarer une telle initiative recevable? Et quelles seraient les conséquences d’un «oui» pour la Suisse?

A la première question, la ministre a répété que le Conseil fédéral ne déclare une initiative non valable que si elle viole des règles impératives du droit international, le fameux jus cogens, comme l’interdiction de la torture. Cette position est régulièrement critiquée, mais le parlement discute d’un possible changement de règles, a-t-elle ajouté. Pour ce qui est des conséquences d’un «oui», elle a préféré noyer le poisson. Elle s’est contentée de dire timidement que des conséquences économiques «sont à prévoir». Et l’image de la Suisse? «Pour l’instant, il n’y a pas de problème. Notre système de démocratie directe, bien expliqué par nos ambassadeurs dans les pays concernés, est compris», assure-t-elle, soucieuse de calmer le jeu.

Eveline Widmer-Schlumpf n’a pas nié qu’un tout petit noyau de fondamentalistes, pour qui la charia doit être placée au-dessus de nos lois, existe en Suisse. Mais, a-t-elle immédiatement souligné, la Suisse a les moyens juridiques de combattre ceux qui menacent la sécurité intérieure du pays. En revanche, un «oui» à l’initiative peut avoir justement pour effet de pousser dans le radicalisme des musulmans qui se sentiraient discriminés. Et l’«islamophobie montante», selon les termes d’un journaliste? La Grisonne a dit espérer que les choses se calment après la votation. L’amorce de débat sur la burqa semble pourtant annoncer de nouvelles batailles…