Eviter le tourisme de la procréation médicalement assistée
Votation
Si elle adopte la nouvelle loi le 5 juin prochain, la Suisse se mettra à niveau de la plupart des législations européennes. Elle autorisera en particulier le diagnostic génétique préimplantatoire (DPI), ces analyses qui permettent aux parents porteurs de maladies graves de ne pas les transmettre à leurs enfants

La Suisse reste une île en Europe. Elle demeure bien seule à ne pas autoriser le diagnostic préimplantatoire (DPI), ce test qui permet l’analyse génétique des embryons provenant d’une fécondation in vitro avant leur implantation dans le corps de la femme. Une situation qui pousse de nombreux couples dont l’un des conjoints est porteur d’une maladie grave à se rendre en Belgique, en Espagne ou en Grande-Bretagne pour éviter de transmettre leur défaut génétique à l’enfant à naître. Donner la possibilité de bénéficier du DPI en Suisse, «dans de bonnes conditions»: c’est l’un des arguments du ministre de la Santé et des partisans de la nouvelle loi sur la procréation médicalement assistée (PMA) soumise au vote le 5 juin prochain. «Nous voulons mettre un terme à ce tourisme de la PMA», a affirmé Alain Berset, au lancement de la campagne.
Editorial. Tests génétiques préimplantatoires: en finir avec l’hypocrisie
Bien que les citoyens aient approuvé à 61,9% le principe du diagnostic préimplantatoire en juin 2015, le test reste interdit tant que la loi d’application n’est pas entrée en force. Attaqué par un référendum du parti évangélique soutenu par les associations de défense des personnes handicapées, ce texte autorise l’analyse génétique sur les embryons dans deux cas de figure. D’une part et c’était l'objectif initial, le DPI sera destiné aux couples porteurs d’une maladie héréditaire grave et incurable, comme la mucoviscidose, la myopathie ou l’hémophilie: l’analyse permet de sélectionner, 5 jours après la fécondation in vitro, un embryon dépourvu des défauts génétiques en question. Le nombre de couples potentiellement concernés se situe entre 50 et 100 par année.
«Pas des aventuriers»
Mais le parlement a aussi ouvert l’accès des tests préimplantatoires aux couples infertiles qui recourent à la fécondation in vitro – environ 6000 essais ont lieu chaque année en Suisse. Dans ce cas, ces couples auront accès à un autre test, appelé screening génétique ou dépistage des aneuploïdies. Il permet de détecter la présence d’un nombre anormal de chromosomes, entraînant par exemple des trisomies. Les médecins jugent que tous les couples infertiles ne demanderont pas cette analyse en raison de son coût à la charge de la patiente. Ils préconiseront ces tests prioritairement pour les femmes ayant subi de nombreuses fausses couches, perdu des fœtus en cours de grossesse ou ayant été confrontées à plusieurs échecs de fécondation in vitro. Cet élargissement de la loi a motivé le référendum: pour les opposants, cela va trop loin.
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Les partisans du DPI, comme les spécialistes de la médecine reproductive dont les patientes se rendent à l’étranger, ne partagent pas cet avis. «La nouvelle loi ne fait pas de nous des aventuriers. La Suisse accédera aux standards internationaux de la fécondation in vitro et nous utiliserons des traitements validés dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne, la Belgique ou l’Australie depuis plus de 10 ans, explique Nicolas Vulliémoz, médecin responsable de l’unité de médecine de la reproduction au CHUV. C’est un bénéfice incontestable pour les couples concernés: outre qu’il est plus confortable pour la patiente d’être traitée par l’équipe qui la connaît, cela permettra de diminuer les risques, les taux de grossesses multiples, le nombre d’interruptions de grossesse et d’améliorer l’efficacité des traitements de PMA.»
«Dans la plupart des pays européens, le DPI est autorisé et clairement réglé au niveau légal», écrivait le Conseil fédéral en 2013. A l’époque, hormis la Suisse, l’Italie, l’Autriche, l’Irlande et l’Allemagne «partaient du principe que le diagnostic préimplantatoire était implicitement interdit». Mais ces dernières années, la situation a évolué: l’acceptation de ces analyses s’est généralisée. En 2015, selon une étude du Conseil de l’Europe, 20 pays disposaient d’une législation sur le diagnostic préimplantatoire, dont 18 l’autorisant. Dans 11 pays, aucune réglementation n’existait, ce qui ne signifie pas qu’il soit interdit. Des pays comme l’Irlande, l’Italie ou l’Allemagne, après d’importants débats éthiques, permettent désormais les tests.
«Si la nouvelle loi est acceptée, la Suisse fera un bond en avant: elle deviendra un pays relativement libéral en la matière»
«Jusqu’à présent, la Confédération avait une approche prudente sur la question et se situait à la traîne des autres pays européens, commente Dominique Sprumont, professeur de droit de la santé à l’Université de Neuchâtel. Si la nouvelle loi est acceptée, la Suisse fera un bond en avant: elle deviendra un pays relativement libéral en la matière.» Le DPI pour détecter des maladies graves est en effet largement autorisé en Europe, mais le screening génétique pour dépister la trisomie 21 ou d’autres anomalies génétiques, est moins répandu: la France, les Pays-Bas et la Norvège l’interdisent.
Ce relatif libéralisme inquiète les opposants: ils craignent des évolutions futures permettant par exemple de mettre au monde des «bébés médicament» ou «bébés sauveurs», interdits dans la loi soumise au vote le 5 juin. Neuf pays européens, dont la France ou la Grande-Bretagne, autorisent cette pratique: le DPI est alors utilisé pour permettre de soigner un frère ou une sœur atteints d’une maladie qui nécessite un traitement à base de cellules-souches et d’une greffe de mœlle osseuse. Si aucune compatibilité n’existe au sein de la famille, le test préimplantatoire permet de sélectionner un embryon à la fois exempt de la maladie et compatible avec l’aîné malade.
La crainte de l’eugénisme
Sur les flyers des opposants s’affiche une poupée aux traits délicats et aux grands yeux bleus. C’est un autre argument de ceux qui combattent la loi: les risques de dérives vers le bébé parfait, dont les parents auraient choisi le sexe et jusqu’à la couleur de l’iris. De fait, toutes les craintes ne sont pas infondées. Des cliniques, dans la partie turque de Chypre par exemple, offrent cette possibilité et en font un argument marketing (lire complément). Mais en Europe, cette application est des plus controversées et largement interdite. La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine précisent que l’utilisation de la technique de PMA «n’est pas admise pour choisir le sexe de l’enfant à naître, sauf en vue d’éviter une maladie héréditaire grave liée au sexe». La loi suisse révisée s’inscrit dans cette veine: la sélection du sexe et d’autres caractéristiques de l’enfant sont autorisées uniquement en lien avec le risque de transmission d’une maladie grave.
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Eviter la souffrance d’un avortement: voilà encore une raison qui pousse les couples au tourisme du DPI. Actuellement, une interruption de grossesse est possible au-delà de 12 semaines de grossesse si une malformation chromosomique, comme la trisomie, est découverte sur le fœtus lors du diagnostic génétique prénatal (dosages hormonaux, amniocentèse). «Le DPI permet de faire les tests plus tôt. L’interdire, c’est pousser les femmes concernées à mener des grossesses à l’essai, assène Ignazio Cassis, médecin et conseiller national (PLR/TI). Refuser un traitement optimal aux couples concernés est inhumain.» Au début des années 90, lorsque le DPI a été introduit comme procédure expérimentale, il avait justement ce but: donner une alternative au diagnostic prénatal pour les couples risquant de transmettre une anomalie. Il s’agissait alors de «leur épargner un choix difficile concernant une interruption de grossesse», rappelle le Conseil de l’Europe.
Contraire aux droits de l’homme
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est penchée récemment sur ce «choix inhumain» dans le cadre d’une affaire italienne de risque de transmission de la mucoviscidose. Or, le raisonnement des juges pourrait également s’appliquer aux trisomies qui peuvent être décelées lors des tests prénataux et conduire à une interruption de grossesse. «La Cour a estimé qu’il est contraire aux droits de l’homme d’interdire le DPI s’agissant de troubles médicaux pour lesquels les tests prénataux sont ensuite admis, avec pour conséquence possible un avortement licite décidé par la femme enceinte. L’arrêt donne à penser que si l’on permet le test de la trisomie en cours de grossesse, puis une interruption de grossesse sur ce fondement, on ne peut alors interdire le DPI pour cette même trisomie: c’est une question de cohérence», analyse Valérie Junod, professeure de droit de la santé à l’Université de Genève. Cet arrêt a vocation à faire jurisprudence en Europe, Suisse comprise.