A Genève, le parti socialiste est délicieusement tendance. Incroyablement tendance, même, à en croire le procès-verbal du comité directeur qui s’est réuni lundi dernier et que le Temps s’est procuré. On y apprend que les communes de Vernier, de Meyrin et de la Ville ont connu des adhésions de masse ces six derniers mois. A tel point qu’un membre s’en est ému, réclamant des explications.

Car l’enjeu est de taille. Les candidats au Conseil d’Etat et au Grand Conseil seront désignés samedi en vue des élections cantonales de 2018. Cinq candidats à l’Exécutif sont annoncés en plus de la sortante, Anne Emery-Torracinta: la conseillère administrative Sandrine Salerno, le maire de Vernier Thierry Apothéloz, la présidente du PS Carole-Anne Kast, le vice-président Romain de Sainte-Marie et le conseiller national Carlo Sommaruga. Le comité directeur penche pour en présenter quatre. Il revient aux membres du PS de voter. C’est dire que les arrivés de dernière minute pourraient faire pencher la balance en faveur d’un candidat ou d’un autre.

Lesquels précisément? Thierry Apothéloz probablement. Championne de ce regain d’enthousiasme militant, sa commune compte cette année 214% de plus d’adhésions qu’en 2016, selon le procès-verbal. En Ville, où l’augmentation est de 20% (soit 50 nouveaux membres), c’est moins évident, même si plusieurs personnalités du parti s’accordent à penser que les nouveaux venus seront plutôt favorables à Sandrine Salerno. Reste qu’en deux ans, le PS genevois a passé d’environ 800 à 1000 membres, avec 81 adhésions en 2016 et 115 ces cinq derniers mois.

Un malaise palpable

Qui sont ces nouvelles recrues? Le Temps a pu consulter la liste. A Vernier et à Meyrin, elle s’apparente, sans cynisme, au jeu des sept familles: plusieurs membres de même patronyme (dont un groupe de sept personnes) font leur entrée au PS. Si une quarantaine de personnes portent des noms à consonance étrangère, mais à majorité albanaise, c’est moins cet élément que le côté compact des groupes qui interpelle. «Est-ce que ces membres, on les verra après le 13 mai?», s’interroge un intervenant du comité directeur. On lui répond que les moyens font défaut pour le savoir.

A lire le procès-verbal de cette assemblée, le malaise est palpable. Car notre intervenant suspicieux annonce une motion d’ordre réclamant d’être membre depuis une année au moins pour avoir le droit de vote: «Le problème, c’est la crédibilité des candidats élus de cette manière. Pour moi, il y a un problème d’ordre éthique». Et si les sections supposées profiter de cette méthode en faisaient finalement les frais? Un intervenant craint en effet qu’un débat à l’assemblée ne torpille les candidats spécifiquement visés, en Ville et à Vernier. Avec pour conséquence quasi inévitable de plomber tout le parti. Aussi, il insiste, utilisant une épithète qu’on n’oserait qu’entre amis: «Je tiens à relever qu’aussi cannibale que puisse être le PS, il faut faire ce que le parti socialiste genevois sait le mieux faire: être transparent. Il faut transmettre les documents que j’ai reçus contenant les noms et prénoms des nouveaux aux candidats au Conseil d’Etat». C’est d’ailleurs ce qui sera décidé au terme de cette houleuse discussion.

Polémique au sein du parti

Que disent les potentiels gagnants de cette nouvelle vague rose? Thierry Apothéloz botte en touche en indiquant que Vernier a lancé une campagne de recrutement en janvier 2017 dont elle vient de récolter les fruits, «soit 21 nouveaux membres contre 10 environ en temps normal». Sur les accusations qui le visent: «Comme par hasard, certains esprits malveillants viennent nous reprocher d’avoir des membres supplémentaires! C’est inquiétant de constater que pour nuire à des candidats, des gens de notre parti mettent en danger la victoire de celui-ci». Il déclare ne pas avoir connaissance que des familles entières aient rejoint ses rangs dernièrement. Sandrine Salerno, elle, trouve «ces insinuations odieuses et insultantes. Pourquoi ces nouveaux membres profiteraient-ils à moi plutôt qu’aux autres? Je n’ai jamais fait adhérer personne, je n’ai pas besoin de cela pour convaincre. C’est au parti de gérer les nouveaux adhérents et de comprendre leurs motivations».

Si l’affaire crée déjà la polémique au sein du parti, elle pourrait aussi décrédibiliser le projet politique. Car les guerres de clans et les petits arrangements avec la morale se sont souvent payés cash dans les urnes. Le doute jeté sur des adhésions jugées artificielles risque aussi de gâter l’humeur des militants investis depuis des années. «Il y a toujours eu des adhésions avant les élections, rappelle Carlo Sommaruga. Ce qui frappe ici, c’est leur ampleur. La seule réponse démocratique à cela est d’avoir une liste de candidats au Conseil d’Etat suffisamment large». Romain de Sainte Marie, quant à lui, trouve «triste s’il devait y avoir des adhésions massives en vue du congrès uniquement». Et Carole-Anne Kast renvoie la balle aux sections, responsables du recrutement: «C’est à elles de vérifier que les adhésions soient valables et pas alibi». Quoi qu’il en soit, elles pourraient gâcher l’ambiance, samedi.