Exportations d’armes: un rapport explosif
Commerce
Un audit du Contrôle fédéral des finances dénonce le manque d’efficacité des contrôles des exportations d’armes vers des pays en conflit, alors que le Conseil fédéral a décidé en juin dernier d’assouplir l’ordonnance sur le matériel de guerre

C’est un rapport qui fera du bruit alors que le Conseil fédéral a décidé d’assouplir l’ordonnance sur l’exportation du matériel de guerre avec l’aval des commissions ad hoc des deux Chambres. Tout en y mettant les formes, le Contrôle fédéral des finances (CDF) remet en cause l’efficacité des contrôles effectués.
La question est sensible. Le 15 juin dernier, le gouvernement, après l’élection d’Ignazio Cassis en remplacement de Didier Burkhalter, a donné un coup de barre à droite sur ce dossier. «La Suisse doit garantir le maintien d’une capacité industrielle adaptée aux besoins de sa défense», s’est-il justifié pour adapter les critères d’autorisation. Jusqu’ici, il interdisait la livraison de matériel «si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne». Or, ce refus ne sera plus systématique s’il n’y a aucune raison de penser que les armes suisses seront utilisées dans cette guerre.
Les critiques du CICR et du PDC
Cette décision de principe a ouvert un débat très animé. Les ONG et la gauche n’ont pas été les seules à protester. Samedi dernier, le président du CICR Peter Maurer a critiqué la décision du Conseil fédéral, estimant qu’elle constituait «un mauvais signal» risquant «d’affaiblir la crédibilité de la Suisse en tant qu’acteur humanitaire». Au centre droit de l’échiquier politique, le président du PDC Gerhard Pfister, malgré la ligne plus conservatrice et proche de l’économie qu’il a imprimée au parti, a quant à lui qualifié cet assouplissement d’«inutile», ajoutant qu’il attendait du Conseil fédéral qu’il «prenne ses responsabilités dans ce dossier».
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C’est donc dans un contexte tendu que tombe l’audit du CDF, même si, en volumes, les exportations d’armes ont atteint 412 millions en 2016, soit seulement 0,14% du total des exportations. Les termes sont polis, mais le message sans ambiguïté en fin de compte. Dans un premier temps, le CDF concède que le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) «se conforme à la loi sur le matériel de guerre». Mais il énumère plusieurs points critiques dans la foulée. D’abord, il note que ces vingt dernières années, les modifications d’ordonnance et la pratique d’interprétation ont conduit à une application de la loi «plutôt favorable» à l’économie. Ainsi, «les transactions qui ne peuvent pas être autorisées depuis la Suisse peuvent tout de même se faire». Par exemple en profitant du fait que la «règle des éléments d’assemblage» permet d’exporter des éléments jusqu’à 50% des coûts de fabrication du produit fini. Des livraisons via des pays intermédiaires deviennent ainsi possibles.
Le double rôle du Seco
De plus, le Contrôle des finances dénonce en filigrane le double rôle que le Seco assume dans ce dossier. D’une part, sa proximité avec l’économie en fait un promoteur logique des exportations, alors qu’il doit d’autre part en effectuer le contrôle. Raison pour laquelle le CDF lui recommande «d’entretenir une distance critique à l’égard des entreprises contrôlées et de leurs lobbyistes». Certains chiffres sont révélateurs, par exemple ceux du volume des exportations «risquées» en direction des pays formant la coalition, dirigée par l’Arabie saoudite, soutenant le régime en place au Yémen: en 2016, le Conseil fédéral y a refusé des livraisons pour un volume de 19 millions, mais en a approuvé pour 185 millions.
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Le Contrôle des finances dénonce aussi le manque de ressources des organes de contrôle. A l’Office central chargé de lutter contre les transactions illégales, sis au sein du Service de renseignement de la Confédération, seule une personne s’occupe du dossier à plein temps. Pire: celui-ci n’est même pas informé par le Ministère public d’éventuelles plaintes.
«Un rapport trop politique et arbitraire»
Selon Amnesty International, ce rapport confirme que «les entreprises suisses d’armement utilisent les lacunes et les flous de la législation pour contourner la procédure d’autorisation et conclure des affaires qui devraient être interdites», déplore son porte-parole Alain Bovard. «Il faut des règles plus strictes au lieu d’un assouplissement», ajoute-t-il.
Inutile de dire que le Seco n’a pas apprécié ce rapport, qu’il qualifie de «politique, unilatéral et arbitraire, ses auteurs étant partis d’un a priori négatif à propos des exportations d’armes». Quant au Groupement romand pour le matériel militaire (GRPM), il réaffirme que «l’industrie suisse respecte totalement les restrictions imposées par notre tradition humanitaire et notre neutralité». «Le danger actuel, c’est de voir le savoir-faire de plusieurs grandes entreprises telles que Rheinmetall ou General Dynamics quitter notre pays. Produire de petites quantités pour la seule armée suisse n’est économiquement pas viable», déclare son vice-président Christophe Gerber.