Le Falungong à Genève ou la quête tranquille de «manifestants modèles»
GENEVE
Les disciples de Li Hongzhi ont dénoncé pendant trois jours, sur la place des Nations, la répression dont ils estiment être victimes en Chine. Loin des méthodes des militants anti-OMC, ces manifestants ont suivi à la lettre les directives de la police. Secte ou pas secte, ce mouvement suscite des questions.
Assise en tailleur sur la banquette d'un arrêt d'autobus, place des Nations, Yuan Feng ferme les yeux, les bras tendus de chaque côté de son corps. Cette jeune informaticienne chinoise, sortie de Harvard, vit et travaille aux Etats-Unis. Elle est venue à Genève pour manifester contre la répression que subissent en Chine les adeptes du Falungong: «C'est une vraie question de droits de l'homme.» Yuan Feng est née dans les faubourgs de Pékin. C'est aux Etats-Unis qu'elle a découvert le Falungong avant d'initier sa famille en Chine. Aujourd'hui, sa mère est en camp de travail, dit-elle, pour avoir pratiqué les exercices de qigong préconisés par Li Hongzhi, l'inventeur de la méthode: «J'ai beaucoup de respect pour les gens qui sont ici», affirme-t-elle, en montrant ses camarades en train de faire leurs exercices à l'unisson, assis dans la boue sous la pluie. «Certains ont sacrifié leurs vacances pour venir ici.»
Zhang Erping, porte-parole new-yorkais du mouvement, estime que 1500 adhérents du Falungong ont fait le voyage de Genève pour l'ouverture de la Session des droits de l'homme. Et d'énumérer les pays d'où viennent les participants: Australie, Canada, Etats-Unis, Allemagne, France, Taïwan, Suède, Royaume-Uni et Suisse, évidemment: «Beaucoup des adhérents américains occupent des postes de cadres dans des entreprises ou des universités. Ils ont les moyens de se libérer et de financer leur voyage.»
Ils étaient un millier à manifester lundi matin devant les bâtiments de l'ONU, quelque 200 mardi et environ 300 mercredi selon la police cantonale. Des manifestants modèles: «Ils ont toujours suivi nos indications, affirme Eric Grandjean, porte-parole de la police. Ce genre d'action pacifique ne pose aucun problème.» André Hediger, conseiller administratif de la Ville de Genève, tire un bilan «tout à fait positif» de ces trois jours de protestation tranquille, malgré la présence d'une délégation chinoise venue dérouler devant l'ONU une grande pétition contre le «culte diabolique».
La Chine pare, en effet, le Falungong de tous les vices et mène une lutte féroce contre l'organisation depuis que plus de dix mille de ses adeptes se sont silencieusement rassemblés devant Zhongnanhai, le siège du pouvoir chinois à Pékin, le 25 avril 1999. «Cette étonnante capacité de mobilisation a certainement fait très peur au pouvoir chinois», relève Antoine Kernen, chercheur sur la Chine contemporaine à l'Université de Lausanne. A Genève également, la manière dont le mouvement a mis sur pied ces manifestations a impressionné les autorités. André Hediger s'avoue surpris. «C'est une organisation avec des relations internationales, mondiales!» qui diffuse largement ses informations: «Nous recevons une avalanche de fax du Falungong presque tous les jours.»
Trop tôt pour se prononcer
Capacité à mobiliser, puissance d'information, des caractéristiques du Falungong que souligne également Me François Béranger, expert pour la question des dérives sectaires au Département de justice et police. «Le public se pose beaucoup de questions sur la nature de ce mouvement. Ce qui est certain, c'est que les adeptes en Suisse tiennent un discours très posé, très calme. On peut également constater qu'en Chine la répression menée par les autorités est très forte. Savoir ensuite s'il s'agit ou pas d'un mouvement sectaire comme l'affirme le gouvernement chinois, la plupart des observateurs estiment qu'il est trop tôt pour se prononcer.»
Pour Zhang Erping, la capacité de mobilisation des adeptes n'a rien de mystérieux. «Nous utilisons Internet pour tenir nos membres au courant. Ils décident eux-mêmes de venir.» Richard Legrand, un Français des Antilles, parti de Guadeloupe pour venir à Genève, confirme: «Personne ne m'a dit de venir de telle date à telle date. On ne m'a pas dit non plus comment faire. J'ai pris un vol pour Paris. Et de là un bus, affrété par les gens du Falungong jusqu'ici. Nous avons partagé les frais. Nous dormons à l'Auberge de jeunesse. Je repars jeudi.» Pour Richard Legrand, le voyage se termine, mais d'autres adeptes vont se retrouver à Stockholm. Il s'y tient dès vendredi un grand Sommet de l'Union européenne, le Falungong fait partie des organisations qui ont demandé à pouvoir manifester en marge de la réunion.