«Ça fait partie des risques du métier, mais il ne s’agit pas de minimiser ce que ces escrocs ont fait.» Propriétaire d’une petite galerie d’antiquités à Lausanne, David* est l’une des victimes d’un gang de faussaires de tableaux que la police cantonale vaudoise a annoncé mardi avoir démantelé. Les quatre hommes prévenus d’escroquerie, de faux dans les titres et de faux dans les certificats sont tous domiciliés dans le canton de Vaud et ont agi entre 2005 et 2008.

David a acheté moins d’une dizaine de faux tableaux de Rodolphe-Théophile Bosshard, célèbre peintre vaudois. Mais au total, les quatre malfrats ont mis sur le marché près de 80 peintures falsifiées et leurs victimes ont dépensé plus de 400 000 francs pour acquérir ces faux du Vaudois Bosshard, mais aussi du Valaisan Edmond Bille, du Genevois Edouard Vallet (lire ci-contre), des Français Georges Braque et Maurice de Vlaminck et du Néerlandais Kees van Dongen. Les faussaires ont utilisé les noms d’une quarantaine de peintres connus.

«Ils ne seront pas rendus»

La police a saisi plus de 100 tableaux durant son enquête. «Ils sont placés sous séquestre et, en principe, ne seront pas restitués», souligne Jean-Christophe Sauterel, porte-parole de la police cantonale vaudoise. «Mais ce sera à la justice d’en décider.»

Les policiers vaudois seraient-ils devenus des experts en beaux-arts? «Nous avons l’avantage d’avoir un spécialiste du domaine de l’art au sein la police cantonale», ajoute l’officier de presse.

Ce sont principalement des professionnels qui se sont fait gruger par l’équipe, dont tous les membres sont passés aux aveux. L’un d’eux, d’environ 50 ans, a peint une vingtaine de faux. Deux autres, d’une cinquantaine et d’une soixantaine d’années, ont vendu les contrefaçons. Le quatrième est le plus intéressant: expert de l’œuvre de Bosshard, il a rédigé plusieurs faux certificats.

«Il n’y a pas de certification des experts d’art en Suisse, contrairement à ce qui existe dans d’autres pays», explique Jean-Christophe Sauterel. Mais on ne s’improvise pas faussaire: «Cet homme était connu dans toute la Suisse pour être le spécialiste de Bosshard», explique Maurice*, un second antiquaire lausannois. Cet expert indélicat était même proche de la famille Bosshard, et s’occupait du «catalogue raisonné», soit la liste exhaustive des œuvres du peintre. Il aurait agi pour des problèmes d’argent, selon certaines sources.

«De saintes horreurs»

Présidente de l’association Rodolphe-Théophile Bosshard et petite-fille de l’artiste, Sabine Gonard note que cet homme «avait toute la confiance de notre famille. Il a authentifié des peintures sans que nous les ayons vues, alors que c’était de saintes horreurs». Si cela peut porter préjudice à la cote du peintre – qui va de 4000 à 60 000 francs suivant les tableaux, selon certains –, la révélation de l’affaire pourrait être bénéfique: «Désormais, chacun aura la certitude que seule notre signature, celle de la famille, garantira l’authenticité des tableaux», note Sabine Gonard.

Pour espérer retrouver leur argent, les victimes doivent être parties civiles au procès, qui n’est pas encore agendé. «Nous ne récupérons jamais rien, car ces gens ne sont pas solvables», prévoit toutefois David.

Le début de l’enquête sur ce groupe remonte à 2007. A ce moment, les faussaires s’étaient aussi essayés au vol à l’astuce, parvenant à remplacer par une copie une œuvre authentique de Giovanni Giacometti avant de subtiliser cette dernière. Ils avaient revendu l’original 180 000 francs.

* Prénoms d’emprunt.