Faut-il construire pour la classe moyenne ou pour les défavorisés?
GENèVE
Ensemble à gauche lance une initiative populaire pour construire davantage de logements sociaux. Exagéré, estime le conseiller d’Etat Antonio Hodgers
Construire, oui, mais pour qui?
Genève La gauche veut davantage de logements sociaux
Exagéré, estime le conseiller d’Etat Antonio Hodgers
Comment dessiner le futur du logement genevois? Selon les règles du passé, qui prévalaient avant l’accord sur le logement signé en 2006. C’est à peu de chose près ce que propose Ensemble à gauche en lançant d’ici à quelques jours une initiative populaire qui demande la construction d’au minimum 60% de logements subventionnés dans les zones de développement. Un taux que la formation politique voudrait graver dans le bronze législatif, avec un minimum de 30% de logements sociaux, et le reste en Habitation mixte (HM), en coopératives d’habitation ou encore en logements d’utilité publique (LUP) si possible. On imagine l’engouement des investisseurs à cette perspective! «Détrompez-vous, ce sera incitatif, rétorque Rémy Pagani, conseiller administratif de la Ville et candidat à sa réélection. Car soit le promoteur demande une subvention massive de l’Etat, soit il cède à ce dernier 40% des logements.» Et de fustiger la spéculation qui sévirait dans la propriété par étages (PPE). «Actuellement, on construit 60% de PPE alors que seuls 13% de la population peuvent se payer de tels loyers», peste Pablo Cruchon, en campagne pour les élections municipales.
Vraiment? Qu’il faille construire à Genève, personne n’en disconvient. Mais pour la classe défavorisée ou pour la classe moyenne? Aujourd’hui, on estime à 30% la proportion de Genevois qui pourraient prétendre à un logement social. Mais une partie importante de ces gens est déjà logée à des loyers rivalisant avec ceux subventionnés, puisque le loyer médian est de 1500 francs pour un quatre-pièces. Ce sont les locataires qui bénéficient d’anciens baux. Faut-il dès lors aller grossir l’offre de logements sociaux?
«Il est vrai qu’on ne construit pas assez de logements d’utilité publique, répond le conseiller d’Etat vert Antonio Hodgers, chargé du Département de l’aménagement, du logement et de l’énergie. Mais cette initiative va trop loin, car elle propose de construire des pans de quartiers entièrement dédiés au logement social. Je ne partage pas cette vision de l’aménagement des années 1970-80, qui a vécu.» Car «poches de logements sociaux» rime avec ghettos. Ce serait en tout cas prendre le risque «de planifier les quartiers paupérisés de demain, qui seront un excellent vivier électoral pour le MCG, s’inquiète Antonio Hodgers. Les logements sociaux doivent être répartis sur l’ensemble du territoire et pas concentrés sur quelques nouveaux quartiers.» Sinon, on s’expose à un danger que Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre immobilière genevoise (CIG) et député PLR, traduit ainsi: «Je ne suis pas sûr que les barres d’immeubles soviétiques soient le désir le plus profond des Genevois.» Une ironique boutade qui pourrait toutefois advenir en cas d’acceptation de l’initiative.
Architecte et patron du Groupe H, Hervé Dessimoz en sait quelque chose, qui construit souvent dans les zones de développement selon une clé de répartition précise entre logements sociaux, prix contrôlés, loyers libres et PPE: «On finance les LUP grâce aux PPE. C’est ce qui nous permet de réaliser des logements sociaux de mêmes qualité et confort que les PPE. Enlever cet apport, c’est renoncer à la qualité et faire fuir les investisseurs.» Le conseiller d’Etat Antonio Hodgers abonde: «Le but d’un logement social, c’est que personne ne sache que c’en est un d’un point de vue architectural. Quant aux plans financiers, ils ne tiennent pas si on a deux tiers de LUP, comme il était prévu pour le projet Praille-Acacias-Vernets (PAV)! C’est pour cela que je vais proposer de changer le ratio.»
Reste que la loi fixe pour objectif à l’Etat 20% de LUP, or le canton est à 10%. Comment se fait-il? «Les HLM de l’ancienne formule passent après vingt ans en loyer libre, répond Antonio Hodgers. L’accord de 2006 préconise justement d’avoir du logement social pérenne, ce qui est positif, mais 60% est excessif par rapport aux besoins de la population.»
C’est prendre le risque «de planifier les quartiers paupérisés de demain»