Forum Santé
Que de différences entre les genres sur le plan de la qualité de vie. Tous les cinq ans, l’enquête suisse réalisée par l’OFS les met en lumière. D’où l’impérieuse nécessité de lancer un programme national de recherche

FORUM SANTÉ
Que cela soit dans le domaine de la prévention, des connaissances scientifiques, des diagnostics ou des traitements, les biais de genre restent malheureusement encore trop nombreux. Pour la 5e édition du Forum Santé, Le Temps et Heidi.news ont décidé de se pencher sans tabous sur ces questions pour mieux les comprendre et contribuer à les déconstruire. Le conseiller fédéral Alain Berset viendra par ailleurs répondre à vos questions. Ce sera le 3 novembre à l’UNIL. Evénement gratuit, sur inscriptions: www.events.letemps.ch/sante
Les femmes et les hommes ne sont pas égaux devant la santé. C’est ce qui ressort de la dernière enquête suisse sur la santé (ESS), publiée en décembre 2020 par l’Office fédéral de la statistique (OFS). Elle révèle de nombreuses différences, dues à des comportements en santé largement façonnés et influencés par les normes sociales. Si les femmes vivent en moyenne quatre ans de plus que les hommes, leur qualité de vie est moins bonne.
L’OFS réalise cette enquête tous les cinq ans depuis 1992. Il contacte entre 15 000 et 20 000 personnes selon un échantillon aléatoire, dont les données sont ensuite pondérées selon des critères précis tels que la région, le sexe, l’âge, la nationalité ou l’état civil. Les sondés sont interrogés en deux temps: d’abord dans le cadre d’un entretien téléphonique, puis par le biais d’un questionnaire écrit ou en ligne. «Les résultats sont représentatifs de la population générale grâce à cette pondération», assure Renaud Lieberherr, responsable de leur analyse à l’OFS.
La moins bonne qualité de vie des femmes
Selon celui-ci, l’enquête suisse sur la santé se penche sur les différences entre les sexes «depuis très longtemps». En 2020 pourtant, l’OFS a introduit la notion de genre pour analyser et mieux comprendre les facteurs sociaux qui influent sur la santé. «L’introduction de cette notion de genre apporte une compréhension plus fine et complexe de la santé d’une population», explique Renaud Lieberherr. «Plus globalement, le genre est un déterminant social qui crée des inégalités de santé, au même titre que d’autres caractéristiques telles que la condition socio-économique, l’âge ou l’appartenance ethnique», ajoute-t-il.
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Premier constat de l’ESS: les femmes vivent plus longtemps, soit 85 ans en moyenne, mais moins bien. Cette longévité supérieure de quatre ans doit donc être relativisée. L’«espérance de vie en bonne santé» des femmes et des hommes est quasiment la même, autour des 71 ans. Concrètement, les femmes déclarent davantage de maladies chroniques (10% de plus que les hommes), souffrent plus souvent d’insomnies (+12%), d’un sentiment de faiblesse généralisée (+15%), voire d’une détresse psychologique (+7%). Elles sont aussi moins nombreuses à maîtriser leur vie grâce à une «énergie et une vitalité fortes».
«Il n’y a clairement pas d’égalité face à la santé», constate Elisa Geiser, médecin au centre d’Unisanté à Lausanne et chargée de cours. Celle-ci évoque trois pistes pour expliquer la moins bonne qualité de vie des femmes. La première concerne la recherche, qui se concentre presque toujours sur des sujets masculins. Les traitements peuvent ainsi s’avérer moins efficaces sur les femmes ou alors ils provoquent plus d’effets secondaires.
La charge mentale
Un deuxième facteur est le stress dont souffrent les femmes en raison de la charge mentale qu’elles doivent assumer: la gestion des enfants, les tâches ménagères, ou encore l’aide aux proches atteints dans leur santé. Quant au troisième, il touche à la situation socio-économique des femmes suisses qui est nettement inférieure à celle des hommes. «Plusieurs études ont montré le lien entre un statut socio-économique bas et un mauvais état de santé», relève Elisa Geiser.
En ce qui concerne les comportements, les femmes adoptent une hygiène de vie plutôt meilleure que celle des hommes. Elles sont plus attentives à leur alimentation, et cela à tous les âges. Elles consomment plus de fruits et légumes et moins de viande. Elles fument aussi moins et sont moins souvent en excès de poids.
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Pourtant, elles consomment deux fois plus de médicaments contre les douleurs. Un paradoxe? Pas forcément, répond Elisa Geiser: «Comme les femmes consultent davantage de médecins en raison des normes de genre, il semble logique qu’elles se voient prescrire plus de médicaments.» Autre raison possible: le fait que les médecins ont un seuil plus bas pour prescrire des traitements antidépresseurs ou somnifères aux femmes. «Mais ce n’est pas le cas pour toutes les pathologies», relativise Elisa Geiser. Après un infarctus par exemple, les hommes reçoivent davantage les traitements recommandés que les femmes.
Cela dit, les hommes aussi peuvent être désavantagés par le rôle social qui leur est traditionnellement assigné, relève l’ESS. C’est le cas lorsqu’ils ne travaillent qu’à temps partiel ou se retrouvent au chômage. «C’est alors sur eux que repose une pression sociale accentuée en lien avec le rôle masculin du pourvoyeur principal du revenu», note l’ESS.
«Cette approche de la santé par le genre est importante pour mettre en place des stratégies de prévention et de promotion de la santé mieux ciblées en fonction des groupes à risque et selon les spécificités de santé des hommes et des femmes, tout en évitant de tomber dans les stéréotypes», résume Renaud Lieberherr. Les nombreuses inégalités révèlent l’impérieuse nécessité de combler les lacunes en matière de recherche dans ce domaine. «Il faut créer un programme national de recherche «médecine et genre», insiste Elisa Geiser. Un autre accent doit être porté sur la formation des médecins, afin de les sensibiliser aux biais de genre.
C’est cette année que l’OFS réalise sa prochaine enquête. Débouchera-t-elle sur des résultats différents en raison de la pandémie de coronavirus? Elisa Geiser est curieuse d’en découvrir les résultats: «D’une part, on sait que la crise du covid a accentué les inégalités sociales liées au genre en défaveur des femmes. Mais d’autre part, on a aussi constaté que si les hommes ont moins été malades, ils ont par contre souffert de formes plus sévères du covid, avec plus d’hospitalisations aux soins intensifs.»