Les femmes sont prêtes à marquer des buts
Nouveau parlement
En politique ou dans une équipe de football fraîchement créée, les élues sont plus investies que jamais au sein du Palais fédéral. Après les vagues violettes qui ont déferlé l’année passée, les choses commencent à changer. Reste à attendre les progrès concrets de la cause de l’égalité

Le 14 juin 2019 a eu lieu la marquante grève des femmes en Suisse. Un an plus tard, nous en analysons les effets dans une série d’articles, dont voici le premier.
Un an après la vague violette qui a submergé le pays le 14 juin dernier et huit mois après la forte féminisation du parlement, qu’est-il advenu dans le combat pour l’égalité? S’il est un peu tôt pour tirer un premier bilan, une chose est sûre: les femmes sont prêtes à marquer des buts. Seize élues s’étant annoncées, elles ont décidé de créer leur propre équipe de football, qui commencera à s’entraîner en automne prochain.
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C’est là plus qu’une anecdote. Lors des dernières élections fédérales du 20 octobre, les femmes ont investi le Palais fédéral comme jamais. Elles sont désormais 42% au Conseil national et 26% au Conseil des Etats. Mais le plus difficile reste à faire: marquer des buts, justement.
La présente session parlementaire permettra une première prise de température. Le 17 juin, le Conseil national doit trancher sur un bouquet d’initiatives du Parti socialiste, visant toutes à donner plus de mordant à la loi sur l’égalité, accouchée dans la douleur l’année dernière et assimilée à «un tigre de papier». Min Li Marti (PS/ZH) et Mathias Reynard (PS/VS) veulent sanctionner les moutons noirs et réclament une extension du champ des entreprises auditées: seraient concernées toutes celles employant plus de 50 collaborateurs, représentant 54% de la main-d’œuvre helvétique.
Sauver l’histoire du féminisme en Suisse
En commission, toutes ces initiatives ont été rejetées, mais sur des scores moins nets que durant la précédente législature. «Le parlement actuel présente un autre visage que celui d’avant 2019, il est plus féminin et plus jeune», se réjouit Kathrin Bertschy (Vert’libéraux/BE), la coprésidente de l’association des sociétés féminines Alliance F. «Jusqu’à présent, nous savions que certains dossiers n’avaient aucune chance. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.»
Economiste de formation, la Bernoise se bat comme une lionne pour sauver les archives de l’histoire du mouvement des femmes en Suisse. Celles-ci sont gérées à Worblaufen (BE) par la Fondation Gosteli, du nom de Marthe Gosteli, une activiste morte à l’âge de 99 ans après avoir collectionné des milliers de documents. Pour trouver les 2 millions qu’il faut par an afin de pérenniser la fondation, Kathrin Bertschy a appelé le parlement à la rescousse. Les signaux sont positifs. Alors que le Conseil fédéral s’opposait jusqu’à présent à un subventionnement, les deux commissions de la science, de l’éducation et de la culture (CSEC) ont plébiscité une aide de la Confédération. Dans ces organes, il y siège désormais 48% de femmes pour celui du Conseil national, et même 62% de femmes pour celui du Conseil des Etats.
Même si les progrès vers l’égalité seront plus lents que d’aucunes le souhaitent, plus rien ne sera comme avant. Les femmes ne laissent plus rien passer, ainsi que le montre leur réaction au moment de la sortie de crise du coronavirus. Pas moins de 60 organisations féminines ont lancé un appel au Conseil fédéral pour réclamer «leur mot à dire à la table des négociations». Au parlement, cet appel a été relayé par le groupe des Verts, qui a demandé et obtenu un débat urgent.
«Le retour de l’homme fort»
«Durant cette crise, nous avons assisté au retour de l’homme fort vu comme seul capable de la gérer, avec Alain Berset ou encore un conseil scientifique presque exclusivement masculin», déplore la sénatrice Lisa Mazzone (GE). «Or, ce sont des femmes qui ont été les plus actives sur le plan opérationnel, que ce soit dans les hôpitaux, dans le travail du care et dans le commerce de détail. Nous avons donc envie de savoir comment le Conseil fédéral entend revaloriser toutes ces professions souvent mal rémunérées», ajoute Aline Trede (BE), la nouvelle cheffe du groupe des Verts.
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Les femmes ont fait une entrée en force dans ce vrai lieu de pouvoir que sont les commissions, là où se prennent très souvent d’importantes décisions en amont des débats en plénum. Or, certaines commissions ont été totalement renouvelées: pas moins de 11 femmes – sur 25 membres – siègent désormais au sein de celle qui esquisse l’avenir de l’armée. «Les femmes sont désormais présentes sur des sujets où on ne les attend pas, comme les transports ou l’armée. Elles vont donner d’autres impulsions, ce qui sera passionnant à suivre», se réjouit Marianne Binder (PDC/AG).
C’est ainsi qu’en matière de politique financière a soudain surgi la notion de «gender budgeting», soit une budgétisation des dépenses publiques intégrant la dimension du genre. «Lorsque le Conseil fédéral a décidé de mettre à disposition plusieurs centaines de millions pour aider les clubs professionnels de football et de hockey, il ne s’est pas rendu compte que les femmes ne bénéficieront quasiment pas de ce montant», déplore Lisa Mazzone.
A droite aussi, la cause des femmes a progressé. Mais du PDC à l’UDC, les élues hésitent à prôner des sanctions contre les employeurs ne respectant pas l’égalité. «Je fais confiance aux entreprises pour qu’elles ne risquent pas leur réputation à ce propos», assure la nouvelle présidente des femmes PLR, Susanne Vincenz-Stauffacher.
Le féminisme de Céline Amaudruz
Les femmes du centre et de droite préfèrent assumer un féminisme vécu dans les faits, se traduisant par leur engagement en politique. L’œnologue Simone de Montmollin compte s’engager pour la revalorisation de métiers comme ceux d’infirmière ou d’agricultrice. La cheffe du groupe du centre Andrea Gmür-Schönenberger a l’intention de thématiser le soutien aux infrastructures parascolaires et la violence faite aux femmes. Quant à la vice-présidente de l’UDC Céline Amaudruz, elle confie s’être habituée aux regards obliques de certains de ses collègues lorsqu’elle a soutenu la loi sur l’égalité. «Dans mon ADN de politicienne, il y a des convictions profondes comme le maintien de la souveraineté de la Suisse et mon opposition à tout rapprochement institutionnel avec l’UE, mais aussi ma condition de femme.»
Toutes ces femmes du centre droit se rejoignent sur un amer constat: le manque de solidarité entre les femmes elles-mêmes. «Les femmes de gauche ne me soutiennent pas, même lorsque je prône une politique plus répressive envers les agresseurs dans la violence faite aux femmes», déplore Céline Amaudruz. Andrea Gmür-Schönenberger acquiesce: «Pour qu’une femme soutienne une autre femme, il faut qu’elle partage 90% de ses convictions, alors que les hommes s’entraident malgré leurs divergences», témoigne-t-elle. Malgré cela, ces élues restent optimistes: «Je suis persuadée que mes deux filles de 22 et 24 ans sauront se battre pour un salaire correspondant à leurs compétences», assure Susanne Vincenz-Stauffacher.
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