égalité
C’est une législature historique qui s’est ouverte jeudi au parlement municipal bernois. Avec une représentation féminine de 70%, le législatif de la capitale entre dans les annales mondiales

Le 29 novembre 2020, la ville de Berne a écrit une page de l’histoire mondiale. Ce dimanche-là, 55 candidates se sont emparées d’un siège au parlement municipal, portant la part de femmes à 70%. Une telle représentation féminine est un cas unique en Suisse, peut-être même un record au niveau mondial. «Lors de cette élection, il y avait une majorité de candidats hommes. Ce sont donc les électrices et les électeurs qui ont fait la différence en plébiscitant les femmes», s’enthousiasme la socialiste fraîchement élue, Valentina Achermann. A l’instar de cette jeune politicienne de 26 ans, elles seront 16 nouvelles élues à faire ce jeudi leur entrée dans l’arène politique bernoise. «J’ai beaucoup lu, je me suis bien préparée. J’ai hâte de m’impliquer de façon active et d’avoir un impact sur l’évolution de ma ville», détaille la vert’libérale de 25 ans Corina Liebi.
De prime abord, cette progression significative des femmes paraît spectaculaire. Or à Berne, personne ne semble véritablement surpris par ce résultat, qui a pourtant conduit à la non-réélection de 11 députés, tous bords politiques confondus. «On assiste simplement à l’accélération d’un phénomène qui est déjà une réalité depuis des années dans la capitale», analyse la présidente socialiste du Conseil de ville, Barbara Nyffeler, qui rappelle qu’en 2012 déjà, la représentation féminine du législatif atteignait 48%.
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Capitale de femmes fortes
Si la ville des Zähringen s’est imposée au fil du temps en «Frauenstadt», c’est d’abord en raison de son tissu économique, caractérisé non seulement par la présence de l’administration fédérale mais aussi des ex-régies fédérales. «Ces entreprises ont pour tradition de motiver les femmes à s’engager et elles répondent à leurs besoins. On est bien loin du secteur financier zurichois, où le personnel doit travailler 80 heures par semaine», précise Barbara Nyffeler. Ces opportunités professionnelles serviront de tremplin à des femmes qui revendiqueront très tôt un accès au monde politique.
Ainsi, en 1971, alors que la Suisse accordait le droit de vote à la moitié de sa population, Ruth Im Obersteg Geiser, alors membre de l’UDC, était la première Bernoise à se hisser à la municipalité. «C’était une femme de conviction, qui n’a jamais hésité à s’opposer aux autres membres de l’exécutif. Depuis son élection, les femmes ont été représentées sans discontinuité à l’exécutif», rappelle l’élue socialiste.
Le ton était donné et conduira la capitale à devenir, en 1993, la première ville du pays à être dirigée par un gouvernement majoritairement féminin. Ces quatre femmes, deux Vertes, une PLR et une UDC, influenceront durablement la politique sociale de la capitale, à l’instar de Therese Frösch, directrice des Finances qui, tout en s’attelant à redresser des finances désastreuses, n’hésitera pas à investir dans les crèches. Ou encore de la directrice des écoles Joy Matter, qui luttera pour que la gestion familiale soit considérée comme expérience professionnelle et que l’échelle salariale soit adaptée en fonction.
L’énergie de ces femmes de poigne, couplée à un important travail des partis de gauche pour encourager une représentation féminine progressiste, a inspiré des générations de politiciennes. «Dès mon arrivée à l’Alliance verte et sociale, le parti m’a immédiatement poussée à me porter candidate», se souvient l’ancienne municipale bernoise et actuelle conseillère nationale Regula Rytz: «Je n’avais que 25 ans. L’égalité n’était pas un thème parmi d’autres, c’était déjà une priorité, de même que la justice sociale et l’écologie.»
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Déteindre sur les autres partis
En 2019, la grève des femmes ainsi que la campagne citoyenne d’«Helvetia ruft!» pour encourager les candidatures féminines aux dernières élections fédérales vont accélérer un combat jusque-là essentiellement porté par l’alliance rose-verte, qui domine depuis plus de trente ans la politique bernoise. Les répercussions à l’échelon communal seront éloquentes. Fin novembre, l’équilibre du PLR s’est complètement inversé, avec six femmes élues et un seul homme. Evincé, le libéral-radical Oliver Berger le prend avec philosophie: «Le peuple est souverain, il a toujours raison. Lorsqu’on se (re)présente, on doit vivre avec le risque d'être élu ou de ne pas être réélu.»
Faute de relève féminine, l’UDC, dernier bastion exclusivement masculin, n’a pu qu’essuyer de nouvelles pertes face à ce raz-de-marée violet. «Il y a trop de femmes, c’est une spécificité bernoise qui ne fonctionne pas bien. Il faut une parité», déplore l’UDC Daniel Michel, qui n’a pas été réélu. Lui aussi évincé, son collègue de parti, Niklaus Mürner, tempère: «Pendant X années, le parlement fut une institution masculine. Pour ces quatre prochaines années ce sera un parlement féminin. J’espère qu’à l’avenir on trouvera un juste milieu.»
Ce jeudi, la première citoyenne de la capitale, Barbara Nyffeler, cède sa fonction de présidente à un «alten weissen Mann» (vieil homme blanc) de l’UDC, Kurt Rüegsegger. A voir s’il saura faire le poids face à un parlement plus jeune, plus à gauche, et surtout bien plus féminin.
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