Qui fera le premier pas bilatéral en 2012?
SUISSE EUROPE EXPRESS
Les sujets de négociation ne manquent pas entre la Suisse et l’Union européenne. Mais la pression, des deux côtés, fait défaut pour accélérer la donne et sortir rapidement du fameux tunnel. A moins que l’un des partenaires se décide à faire, cette année, le premier pas
Didier Burkhalter à Bruxelles d’ici la fin mars. Eveline Widmer-Schlumpf dans le bureau de José-Manuel Barroso avant l’été. Avec, entre les deux, un rendez-vous clef en mai-juin sur la libre circulation des personnes, lors de la réunion du comité mixte Suisse-UE convié au moins une fois par an. Puis, à la rentrée, la prise de fonction du nouveau Chef de la Mission suisse auprès de l’Union européenne, Roberto Balzaretti, qui remplacera Jacques de Watteville appelé à représenter la Confédération en Chine. Tel est, grosso modo, l’esquisse du calendrier bilatéral pour la première partie de 2012.
Le fond de ce premier semestre, comme le fut toute l’année dernière après la visite à Bruxelles de Micheline Calmy-Rey le 8 février 2011, sera donc technique. Avec une liste de divergences programmées entre «experts», notamment sur la question toujours très sensible de la fiscalité, rendue plus politique encore par le nouveau «pacte budgétaire» adopté en principe lundi par 25 pays de l’UE sur 27 (Royaume-Uni et République tchèque exceptés).
L’accent mis sur les coupes dans les dépenses publiques et la réduction impérative de l’endettement des Etats signataires – via l’adoption, entre autres, de «règles d’or» au niveau constitutionnel – devra être contrebalancé par un effort accru pour augmenter les recettes fiscales, en trouver de nouvelles et lutter contre la «concurrence déloyale» au sein de marché intérieur et dans les Etats-tiers désireux d’y accéder davantage, comme la Suisse. L’offensive franco-allemande sur la Taxe sur les transactions financières, rejetée vent debout par Londres, en est un exemple. Tandis que la présidence tournante danoise, de son côté, entend convaincre en début de semaine prochaine les ministres des finances de l’Union de boucler enfin la renégociation de la directive communautaire sur la fiscalité de l’épargne pour en étendre le champ d’application. Conséquence directe: Copenhague soutiendra l’octroi d’un mandat de négociation avec la Suisse pour revoir l’accord bilatéral sur le sujet. Mais comme l’a révélé l’ATS dans une dépêche mardi, le fond de l’air fiscal sera frais: les Danois exigeant de la Confédération, par avance les mêmes concessions que celles faites aux Etats-Unis…
La fiscalité, l’électricité, la libre circulation des personnes: le triptyque bilatéral de 2012 est peu ou prou calé. Avec, en arrière-plan de ces trois domaines, la fameuse question «institutionnelle» dont l’Union européenne exige le règlement avant de conclure tout nouvel accord d’accès au marché intérieur.
Attention: les mots ont leur importance. Régler veut dire s’entendre sur une solution juridique applicable à l’ensemble des accords à venir et si possible aux accords passés, pour les rendre compatibles avec le développement de «l’acquis communautaire» (la législation de l’UE). Qu’une telle solution soit trouvée, puis testée autour d’un accord sur l’électricité, comme le suggère depuis l’automne 2011 le Département fédéral des Affaires étrangères n’est pas incompatible. Les deux parties ont, sur ce dossier, des intérêts plutôt convergents à long terme. Mais Bruxelles restera ferme: pas de conclusion sans une entente formelle autour d’un texte, de dispositions, et d’une méthode permettant à l’Union de garantir à ses Etats membres que leurs entreprises seront, en Suisse, traités de la même manière que dans le reste du grand marché communautaire.
Les pourparlers fiscaux, pour leur part, s’annoncent surtout houleux dans deux domaines: celui du «code de conduite» sur la fiscalité des entreprises, à propos duquel Berne a maintenant accepté d’ouvrir la discussion pleine et entière, après une année 2011 passée à s’interroger sur le cadre général. Des experts sont attendus à Bruxelles ces jours-ci. La visite dans la capitale belge, le 8 mars, de représentants des cantons de suisse occidentale, abordera aussi immanquablement le sujet. Second sujet compliqué: l’avenir des accords bilatéraux Rubik, signés par la Suisse avec l’Allemagne et le Royaume-Uni. La Commission affirment maintenant haut et fort qu’ils empiètent sur ses compétences en matière de fiscalité de l’épargne. La République fédérale, patronne de l’Europe, est sous pression pour exiger une renégociation. L’étau triangulaire risque de se resserrer sur Berne.
La question de la libre circulation, enfin, sera comme les fois précédentes interprétée comme un signal politique. L’activation par la Suisse des clauses de sauvegarde pour limiter l’afflux de ressortissants communautaires lorsque les quotas sont dépassés, est une option parfaitement possible et prévue par les accords. Mais il faudra la justifier, accepter sans doute des vérifications de l’Union… en prenant garde à ne pas empoisonner le climat général entre une Suisse statistiquement prospère et certains pays de l’UE en grande difficulté.
Qui fera le premier pas bilatéral en 2012 pour sortir du tunnel et amorcer un dégel? A écouter Bruxelles, ce ne sera pas l’Union. Trop d’autres sujets prioritaires à traiter. Trop d’inquiétude sur la manière dont l’acharnée diplomatie suisse pourrait tirer profit de nouvelles concessions. Parions sur un nouveau long round d’observations, épicé par la demande communautaire non formalisée, mais bien présente en arrière-plan, d’une nouvelle contribution helvétique pour les pays membres entrés depuis 2004.
Refrain connu: la Suisse tiendra, puisque la Suisse paiera. La question, au final, est de s’assurer que le coût final des nouveaux atermoiements bilatéraux, justifiés par l’absence immédiate de crise majeure à l’horizon malgré les nuages, ne sera pas prohibitif.