Le homard n’a pas de cordes vocales. Il ne crie pas lorsqu’il est plongé vivant dans l’eau bouillante. Cependant, il n’est pas insensible et mérite plus d’attention. Raison pour laquelle la Confédération veut interdire cette pratique, courante en gastronomie.

Une nouvelle ordonnance est actuellement en consultation. Elle vise à mieux traiter l’animal, réputé pour sa chair. Les cuisiniers devront donc s’y adapter et étourdir le crustacé avant de l’apprêter. Les importateurs et les poissonniers devront également améliorer le confort du homard durant son transport et sa détention.

Vétérinaire à l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), Fabien Loup estime que l’importation et la vente de homard ne sont pas suffisamment réglementées. Puisqu’il est considéré comme un produit de consommation, «on oublie qu’il s’agit d’abord d’un animal sauvage, avec toutes les exigences en termes de protection que cela suppose».

Comme des bouteilles

Selon l’ordonnance qui est en consultation jusqu’en février prochain, le homard ne pourra plus être transporté vivant sur de la glace ou dans de l’eau glacée. Il devra l’être dans des caisses refroidies, et chaque animal sera séparé par un élément adapté. Laurent Mivelle, directeur d’Ultra Marine Food, distributeur de produits haut de gamme, confie que sa société, basée à Carouge, applique déjà cette norme. «Nos homards proviennent soit d’outre-Atlantique, soit de France. Dans les deux cas, ils arrivent dans des cartons adaptés où ils sont rangés verticalement. Chaque pièce est isolée par des plaques fraîcheur», explique-t-il.

Toutes les précautions sont prises pour maintenir l’animal en vie, et plus encore pour faire en sorte qu’il reste vif et réagisse. Entre sa mort et sa consommation, le moins de temps possible doit s’écouler. Un gage de qualité et de fraîcheur. «La chair se désagrège rapidement», poursuit Laurent Mivelle, qui a pour principe d’écourter au maximum la phase de transit entre ses locaux et ses clients.

Le doute du cuisinier

Mais c’est ensuite que l’affaire se corse. Car en cuisine, un bon homard est un homard vigousse, plongé vivant dans l’eau bouillante et servi immédiatement. Toute autre technique laisse les grands chefs sceptiques. «Nous sommes parfaitement conscients de l’importance de bien traiter les animaux», indique Richard Terrochaire, chef de cuisine du restaurant Chez Philippe, à Genève. Mais comment faire autrement? Avec quelle technique d’étourdissement? «L’eau bouillante, c’est toujours mieux que de planter un couteau dans la tête», estime-t-il. Ou de couper l’animal en deux, à vif. A Lausanne, au Beau-Rivage Palace, on pratique cependant autrement: le homard est apaisé puis endormi selon une méthode spécifique. S’en suit un coup de couteau dans la nuque, afin d’abattre le crustacé sur le coup et sans douleur, explique l’établissement.

Fabien Loup évoque pour sa part deux alternatives qui lui paraissent les plus appropriées: la mort par électrocution ou par une incision au couteau dans la région thoracique. «Il y a là un point stratégique qui provoque un endormissement immédiat. Il s’agit d’une technique qui s’apprend.» Quant à l’électrocution, un appareil a été mis au point, le Crustastun, spécialement adapté pour la mise à mort rapide des crustacés.

Pas d’interdiction

Fabien Loup est conscient de bousculer les traditions culinaires. Et pas seulement pour les cuisiniers. Les convives également applaudissent la présentation du homard encore vivant, remuant ses pinces, avant son passage à la casserole. Le vétérinaire précise cependant que l’ordonnance mise en consultation est un compromis face à l’interdiction pure et simple de l’importation de homards vivants préconisée par les défenseurs de la cause animale.

La conseillère nationale Maya Graf (Vert/BL) est l’auteure d’une motion visant cet objectif. Elle note que quelque 130 000 homards vivants sont importés chaque année en Suisse pour y être consommés. «Ils souffrent le martyre, car ces crustacés solitaires disposent d’un système nerveux complexe et sont sensibles à la douleur.» Une interdiction pure et simple serait cependant contraire à l’accord vétérinaire bilatéral conclu entre la Suisse et l’Union européenne. Une telle interdiction est également soumise à des exigences strictes posées tant par l’OMC que par de nombreux accords de libre-échange.

Se contenter d’importer des produits déjà cuits puis congelés ne remplit également pas les critères de la gastronomie. Manque de traçabilité, de garantie de qualité, d’attrait: les cuisiniers font la moue.

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