Les fonds détournés de l’ex RDA toujours en Suisse
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Vingt ans après la réunification, la lenteur des enquêtes et les procédures judiciaires bloquent toujours des centaines de millions de francs dans les coffres helvétiques. Le dossier a été évoqué le 28 avril entre Angela Merkel et Doris Leuthard
La République démocratique allemande a cessé officiellement d’exister le 3 octobre 1990. La Suisse saisira-t-elle l’occasion du vingtième anniversaire de la réunification pour restituer à Berlin les millions que d’ex-cadres de la RDA avaient dissimulés dans des coffres-forts de banques suisses au moment de la débâcle communiste? Au rythme où vont les choses, ce n’est pas sûr.
Le dossier a été évoqué lors de la rencontre entre la chancelière allemande Angela Merkel et la présidente de la Confédération Doris Leuthard, le 28 avril dernier. En conférence de presse, la seconde a déclaré d’une part que le rapport commandé par le Conseil fédéral en octobre 2007 n’est pas encore prêt, d’autre part que les montants en jeu sont «surévalués» («überschätzt»). Ce qui ne laisse pas d’étonner: comment la conseillère fédérale peut-elle se prononcer sur les sommes si le document n’est pas finalisé? D’ailleurs, qui «surévalue» ces montants, et à combien?
Pas l’Allemagne en tout cas. Un porte-parole de l’ambassade à Berne se montre d’une prudence de Sioux: «Nous ne pouvons avancer de chiffre, c’est très difficile», dit-il. Ni les historiens. Selon Marc Perrenoud, qui travaille aux archives historiques de la Confédération et pour le Département fédéral des affaires étrangères, aucune étude spécifique n’a été entreprise sur le sujet. Ni les politiciens.
Il y a bien eu quelques interpellations de l’UDC à propos de l’ex-Allemagne de l’Est, mais elles concernaient les activités d’espionnage de la Stasi et ont été classées. Une des rares estimations publiques est celle d’Alexander Schalck-Golodkowski – un connaisseur. Aujourd’hui âgé de 78 ans, il dirigeait la très puissante «KoKo», la «Coordination commerciale» du Ministère des affaires étrangères de la RDA. Au milieu des années 90, Schalck-Golodkowski a déclaré que les fonds parqués en Suisse représenteraient entre 120 et 130 millions de francs, et non des milliards.
Le chiffre paraît assez bas au regard des dizaines de milliards de francs que la «KoKo» a brassés pendant près de vingt ans. Avec ses mille comptes bancaires et ses plus de 200 sociétés-écrans, c’était la plaque tournante des devises que se procurait le régime communiste par différentes voies légales ou non – trafics de prisonniers, de jeans ou de microélectronique, d’antiquités, etc.
Ces devises finançaient des projets industriels, dont beaucoup s’effondrèrent, et bien sûr les nombreux extras de la nomenklatura. A un moment, la «KoKo» avait amassé 21 tonnes d’or dans ses caves – cinq fois plus que les réserves officielles de la RDA.
Les commissions d’enquêtes judiciaires et parlementaires allemandes ont rassemblé des centaines de milliers de documents sur cette organisation, dont le fonctionnement a souvent été comparé à celui d’une mafia.
Il y a donc du grain à moudre pour un chercheur curieux. Il a pourtant fallu au Temps quatre téléphones et plusieurs échanges de courriels pour savoir simplement quel département fédéral est en charge du dossier: celui des Affaires étrangères.
Le président du PDC Christophe Darbellay a interpellé Hans-Rudolf Merz à ce sujet en marge des derniers entretiens de Wattewille et a senti «une certaine gêne» dans la réponse du chef du Département des finances. «Nous avons tout intérêt à régler ce dossier. A un moment, il faut décider», ajoute Christophe Darbellay.
Surtout quand on sait que du côté allemand, Angela Merkel – qui a passé toute sa jeunesse en Allemagne de l’Est sous la menace de la Stasi – a fait de ces fonds en déshérence une affaire personnelle. L’Allemagne a adressé «plusieurs requêtes» à la Suisse depuis 2003, et c’est suite à une lettre de la chancelière allemande que le Conseil fédéral a entrepris une enquête auprès des banques en octobre 2007, confirme le DFAE.
Le gouvernement suisse a agi «dans l’intérêt de la Suisse, pour que la place financière ne soit pas entachée de soupçon», et «en raison des relations d’amitié et de bon voisinage avec l’Allemagne», ajoute le DFAE.
L’invocation de ces deux raisons est un autre sujet d’étonnement – elle semble indiquer que le Conseil fédéral aurait fait une fleur à Berlin, alors qu’il n’a fait que son travail.
L’explication tient peut-être dans la phrase suivante: les dépenses pour ces recherches ont été «conséquentes», car nombre de transactions remontaient loin dans le temps, le délai pour la conservation des documents étant échu dans certains cas. La protection de la sphère privée des détenteurs de comptes a aussi constitué un obstacle.
Il semblerait que le travail auprès des banques soit terminé. Le porte-parole de l’ambassade d’Allemagne à Berne le répète plutôt deux fois qu’une: «Nous ne mettons pas la pression sur la Suisse, il s’agit naturellement d’un travail très difficile. Pour nous, c’est plutôt une question de principe. Notre gouvernement a aussi subi le reproche de n’être pas assez actif sur cette question.»
Il reste cinq mois à la Suisse pour ficeler un cadeau d’anniversaire à l’Allemagne pour les vingt ans de la réunification, à moins que le Conseil fédéral veuille utiliser ce (petit) atout dans des négociations sur la fiscalité ou sur les nuisances de l’aéroport de Zurich.