Faut-il accorder deux semaines ou un mois de congé aux pères? La question divise la Suisse. Ce n’est pas nouveau, le parlement a refusé 26 initiatives allant dans le sens d’un congé parental au cours des dix dernières années, selon une étude de MenCare. Qu’importe, le think tank Foraus suggère de se montrer bien plus ambitieux et propose un congé parental de trente-huit semaines, dont quatorze réservées à la mère et huit au second parent.

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C’est l’une des dix recommandations émises par le programme genre du think tank consacré à la politique étrangère de la Suisse. Autre suggestion: que le gouvernement fasse preuve de davantage de cohérence. Dans sa stratégie 2017 pour l’égalité, le Conseil fédéral déclare soutenir «les initiatives qui permettent de réduire le poids du travail domestique pour les femmes». Or, la même année, il recommandait au parlement de rejeter une initiative réclamant quatre semaines de congé paternité, avec, comme argument principal, les coûts pour l’économie.

Pourtant, les frais immédiats d’un congé incluant les pères – pour le remplacement ou la formation par exemple – se voient compensés à long terme, car ce type de mesures permet aux entreprises de mieux retenir leurs employés qualifiés. Sans compter qu’une hausse de 1% du taux d’activité des femmes couvrirait les coûts d’un congé parental de dix-huit à vingt semaines, selon une étude du Parlement européen citée par Foraus.

Une affaire économique aussi

«Ce n’est pas seulement une question de justice et de droits de l’homme. C’est aussi une affaire économique: les recherches montrent que la participation des femmes au marché du travail bénéficie à l’ensemble d’un pays», souligne encore le think tank dans son rapport. L’organisation s’est basée sur le constat établi en 2016 par la Cédef (la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes), ratifiée par Berne en 1997. Cet organe de l’ONU identifiait plusieurs manquements de la Suisse à ses engagements: participation des femmes au marché du travail trop basse, coûts trop élevés des structures d’accueil familiales, absence de congé parental.

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Si bien que la Suisse, l’une des économies les plus compétitives, détient un autre record moins glorieux: elle affiche l’un des scores les plus bas parmi les Etats de l’OCDE en matière d’égalité entre hommes et femmes. Dans l’indice du plafond de verre établi chaque année par The Economist, en 2018, elle arrive 26e, après le Portugal (8), la Pologne (10) ou la République tchèque (23).

Des sanctions contre les discriminations

Foraus propose aussi de revoir la loi sur l’égalité en matière de salaires. En Suisse, l’écart de revenus entre hommes et femmes se monte à 12% selon les chiffres de 2016, dont 40% restent inexpliqués. A la fin de 2018, le parlement a adopté une loi exigeant des sociétés de 100 employés de faire analyser les salaires. Or cette mesure sans mécanisme de sanction ne concerne que 0,9% des entreprises (46% de l’ensemble des employés du pays). C’est loin d’être suffisant, constate le think tank, qui propose d’adopter – comme en Islande – une loi pénalisant les sociétés dès 25 employés, avec une période transitionnelle de huit ans. Le Bureau de l’égalité serait responsable de contrôler et de sanctionner en cas de discriminations persistantes.

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Enfin, Foraus propose un partenariat public-privé afin d’améliorer l’offre et de réduire les coûts, deux fois plus élevés pour les parents qu’en France, en Autriche ou en Allemagne, des structures de garde d’enfants. Les entreprises qui mettraient en place une crèche entre leurs murs recevraient des subsides. «Les coûts pour les entreprises et l’Etat seraient compensés par les gains liés à cette mesure, comme la diminution de l’absentéisme dû à la garde des enfants et un taux de rétention des employés plus élevé», estime le rapport, se basant sur des exemples à l’étranger. Selon la banque JP Morgan Chase, les économies réalisées grâce à l’ouverture d’une structure d’accueil couvrent 115% des coûts.

Parmi ses autres recommandations, Foraus suggère de réaliser une enquête nationale sur le harcèlement au travail, d’adopter une Charte internationale pour les femmes dans le leadership économique ou encore d’inclure un module sur l’égalité entre genres dans les formations en droit.