Surveillance
L’Université de Neuchâtel accueille jeudi et vendredi un colloque international sur les drones. Entretien avec Francisco Klauser, coorganisateur de l’événement, qui souhaite que les sciences sociales s’intéressent davantage à ces appareils
«Les drones créent de nouveaux rapports de pouvoir en Suisse»
Questions à
L’Université de Neuchâtel accueille jeudi et vendredi un colloque international sur les drones. Surveillance des frontières, frappes militaires, appareils commerciaux: 19 chercheurs venus du monde entier décortiquent la nouvelle «ère des drones». Entretien avec Francisco Klauser, coorganisateur de l’événement, qui souhaite que les sciences sociales s’intéressent davantage à ces appareils.
Le Temps: Depuis quand vous intéressez-vous aux drones?
Francisco Klauser: Je m’intéresse aux nouvelles technologies depuis 15 ans, notamment à la question de la vidéosurveillance. A certains égards, les drones peuvent être considérés comme une méthode évoluée avec des caméras plus mobiles et flexibles. En 2008, l’armée a utilisé des drones pour surveiller les flux de supporters au-dessus de Zurich, Bâle et Berne. C’était une première en milieu urbain, ça a été un déclic pour moi. Et puis, j’ai également commencé à travailler avec Silvana Pedrozo, coorganisatrice de la conférence, qui rédige une thèse sur l’utilisation de ces appareils pour surveiller le territoire suisse et les frontières.
– En quoi la géographie politique peut-elle enrichir le débat?
– Les drones modifient notre rapport à l’espace. Cette technologie, à la base militaire, est en train de se démocratiser. La généralisation de cette «vue d’en haut» modifie l’espace aérien tout en nous transformant en retour. Les drones créent des nouveaux rapports de pouvoir entre surveillants et surveillés. Mais ce monde est encore très opaque. Nous voulons mener les premières études en Suisse sur la manière dont la police, les pompiers ou les privés utilisent ces appareils. Dans cette optique, une demande de fonds est en cours d’obtention. La police semble plutôt utiliser les drones pour optimiser certaines de ses activités, comme obtenir des vues aériennes des sinistres, que pour contrôler des champs de chanvre.
– Etes-vous préoccupé par la prolifération de ces appareils?
– Comme citoyen, je me pose beaucoup de questions. En Suisse, à l’heure actuelle, on estime le nombre de drones à environ 22 000. Il y en aura peut-être 200 000 dans dix ans. Depuis août 2014, 15 demandes d’autorisation de pilotage sans contact visuel ont été adressées à l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) et 15 autres de survol d’une foule . L’usage des drones se généralise. Les chercheurs ne doivent pas vivre dans une tour d’ivoire. Ils ont la responsabilité de produire une réflexion qui peut éclairer le débat public. J’ai moi-même été mandaté par les autorités genevoises pour évaluer l’efficacité du système de vidéosurveillance installé aux Pâquis fin 2014.
– Dans votre étude, il est beaucoup question de gouvernance spatiale. Le drone n’est-il qu’un puissant outil de flicage?
– La métaphore de «Big Brother» est inappropriée. Il n’y a pas de pouvoir central surveillant tout le monde, mais un essaim de «little sisters». Avec les drones, on octroie à tout le monde le pouvoir de surveiller son voisin. Il est pour l’instant très difficile de contrôler ou d’intercepter ces appareils. Les technologies numériques sont toutes de puissants appareils de contre-surveillance. Prenez les manifestations: la police filme la foule mais des centaines de smartphones sont également prêts à être dégainés pour documenter d’éventuelles violences policières. En 2013, les manifestants d’Istanbul ont amené leur propre drone qui faisait face, pendant les affrontements, à l’appareil de la police. Une caméra n’est pas positive ou négative en soi, c’est l’usage qu’on en fait qui le détermine. Cet automne, nous allons lancer un sondage pour analyser comment les drones sont perçus au sein de la population.