«Félicitations, Monsieur le conseiller d’Etat.» Lundi matin, dans les corridors austères du Ministère public de la Confédération (MPC) à Lausanne, Frédéric Hainard était au centre de toutes les attentions. Troisième de l’élection au gouvernement neuchâtelois la veille, le jeune procureur fédéral suppléant, 33 ans, tentait de modérer l’enthousiasme de ses collègues. Mais sans cacher son plaisir. «Je suis surpris et ému par mon score. Vraiment.»

Premier de la liste PLR, le Chaux-de-Fonnier a réussi le plus difficile. Grâce à une intense campagne de proximité, il a devancé ses colistiers de 2000 voix. Cet avantage lui permet d’appréhender le second tour du 26 avril avec sérénité. Si, comme on peut l’imaginer, la gauche maintient sa majorité, Claude Nicati et Philippe Gnaegi devraient se disputer le cinquième siège gouvernemental.

Liberté de parole

Frédéric Hainard aurait préféré une élection tacite qui aurait donné la majorité à la gauche. «On dira que je dis cela pour défendre mon intérêt personnel. Ce n’est pas le cas. A mon sens, il est important que la majorité soit la même au Grand Conseil et au Conseil d’Etat. Cela permet d’éviter les blocages inutiles. Au vu des difficultés du canton, on a meilleur temps d’être soudé et d’avancer.»

Ce discours lui a valu plusieurs remarques de la part de cadres du PLR dimanche soir déjà. Frédéric Hainard n’en a cure. Il se soumet aux décisions du parti, mais il tient à sa liberté de parole. Une seconde nature chez lui, comme il l’a démontré durant la campagne sur les ondes de la Radio suisse romande. A la question «Roland Debély est-il un bon conseiller d’Etat?», il a répondu par la négative. Certains lui ont reproché une pique «peu fair-play» à l’encontre d’un colistier, ministre sortant de surcroît. Sa lecture est différente: «Si j’avais répondu «oui», les gens qui me connaissent auraient perçu le mensonge. Cela aurait été pire.»

Cette spontanéité pourrait le desservir au Château, où la langue de bois est un outil prisé. «Je saurai m’adapter, promet l’ancien étudiant en droit de l’Université de Neuchâtel. Le discours n’est pas le même comme candidat ou comme magistrat. Je suis préparé aux contraintes de la collégialité.» Membre de l’exécutif de La Chaux-de-Fonds, le socialiste Didier Berberat confirme. «Je préside la Commission scolaire. Frédéric Hainard est vice-président. Lorsqu’une décision est arrêtée, il la défend loyalement. Il est tout à fait apte à faire des compromis.»

Reliques policières

L’ancien libéral peut être raisonnable, mais il ne sera jamais policé et propre en ordre. Son bureau au MPC en témoigne: les dossiers cohabitent avec des posters humoristiques et de nombreuses reliques policières, souvenirs de son passage à la Sûreté neuchâteloise. Tout le contraire du bureau impeccable de son colistier et supérieur hiérarchique Claude Nicati, situé quelques mètres plus loin.

Toujours en mouvement, Frédéric Hainard donne le sentiment de ne jamais s’arrêter. «Ma mère dit que je suis un hyperactif non diagnostiqué, confie-t-il. C’est possible. J’ai toujours besoin de faire quelque chose.» Du coup, il se multiplie: outre ses fonctions au MPC, il s’occupe de quatre pupilles et remplit 50 déclarations d’impôt par an pour des amis. Sans oublier la politique: il est membre du parlement chaux-de-fonnier, président du PLR des Montagnes et vice-président du parti cantonal. Ses – rares – moments de temps libre, il les passe avec sa femme et ses deux filles.

Aurait-il peur du vide? «Que ce soit en vacances ou au travail, je pense toujours à ce que je vais faire par la suite. Dimanche soir, quand j’ai réalisé que la campagne était peut-être terminée, je me suis demandé ce que j’allais faire de mes soirées.»

Sarkozy et bling-bling

Cet appétit sans limite évoque un hyperactif célèbre, Nicolas Sarkozy. Comme le président français, Frédéric Hainard boit très rarement de l’alcool, «pour ne pas perdre le contrôle». Mais contrairement à lui, il n’est guère séduit par le bling-bling. Il roule «dans une vieille Polo 1,4 l», porte «de vieux jeans» et «des chaussures à 49,90».

Cette simplicité plaît à La Chaux-de-Fonds, ville ouvrière où l’on n’aime guère les m’as-tu-vu. Candidat à l’exécutif communal en avril 2008, le jeune loup libéral-radical a été brillamment élu. Il a dû se retirer: son père, le conseiller communal UDC Pierre Hainard, avait été réélu et la loi interdit à deux membres d’une même famille de siéger dans le même exécutif. «Les discussions que nous avons eues à cette occasion nous ont beaucoup rapprochés, estime le fils. Jusque-là, nos relations étaient conflictuelles.»

L’épreuve lui a durci le cuir et ouvert les portes du Conseil d’Etat. En cas d’élection, Frédéric Hainard est bien décidé à faire entendre la voix des Montagnes, absentes du Château depuis quatre ans. «Le vote de dimanche a montré que le Haut du canton et le Val-de-Travers se sentent marginalisés. Ce sera de toute manière plus équilibré que d’avoir deux ministres sur cinq domiciliés à Cernier…»

Au Château, le candidat PLR devra s’affirmer, lui qui ne possède aucune expérience politique à l’échelle cantonale. «C’est un point faible, il faut être honnête. Je serai attendu au tournant. Il faudra que je fasse mes preuves par l’acte.» Sourire en coin, il reprend: «Je suis prêt à relever le défi.»