«Les citoyens fribourgeois ont imposé aux partis leur volonté de renouveau»
Élections fédérales
A la surprise générale, le PDC fribourgeois a perdu le siège qu’il occupait depuis 1858 au Conseil des Etats. Un séisme politique en terre catholique, conséquence de la volonté de changement d’un canton et de l’affaiblissement du vote identitaire de la minorité germanophone. L’analyse de l’historien et politicien PDC Bernhard Altermatt

Le PDC ne contestera finalement pas devant la justice le résultat du second tour du Conseil des Etats à Fribourg, malgré les couacs informatiques qui ont émaillé le dépouillement. C’est également la décision de leur candidat malheureux, Beat Vonlanthen. Le séisme politique est donc confirmé du côté de la Sarine. Pour seulement 138 suffrages, le PDC perd à la Chambre haute le siège qu’il occupait sans interruption depuis 1858. Au profit de la PLR Johanna Gapany, première sénatrice du canton, qui accompagnera le socialiste Christian Levrat.
Pour l’historien fribourgeois Bernhard Altermatt, qui fut également candidat au Conseil national sous les couleurs démocrates-chrétiennes, cette perte constitue une surprise à relativiser: «Il ne faut pas analyser uniquement la dernière législature, mais ce qui s’est déroulé dans le canton depuis quarante ans. Situé au cœur du Plateau suisse, entre Berne et l’Arc lémanique, Fribourg a connu un incroyable boom démographique et économique. Il n’y a plus depuis longtemps un seul parti hégémonique, une seule manière de concevoir la société.» Pour lui, ce phénomène touche, avec une temporalité différente, toutes les grandes formations politiques cantonales, à l’image du «grand vieux» Parti radical vaudois ou, plus récemment, de l’UDC à Berne.
En savoir plus: L’élection de Johanna Gapany est confirmée
Dans ce contexte, la politique fribourgeoise est devenue «très concurrentielle»: «Pour sept sièges au Conseil national, il y a pas moins de cinq partis représentés», souligne Bernhard Altermatt. A ses yeux, ces dernières élections fédérales ont été moins marquées par un rejet du PDC que par une envie de renouvellement qui a tout bousculé.
«La population a voté pour un changement, explicite l’historien. Mais les partis ne lui ont pas donné cette possibilité. Sur 9 places à Berne [7 au Conseil national et 2 aux Etats], 8 sortants se représentaient, ne laissant comme «seul» choix aux électeurs que de décider qui succéderait à Dominique de Buman. Finalement, les citoyens ont aussi imposé aux partis leur volonté de renouveau.»
Poids lourds politiques sur la touche
Au Conseil national, ce souhait s’est matérialisé dans la fameuse vague verte qui a propulsé Gerhard Andrey à Berne, le premier écologiste fribourgeois à siéger sous la coupole fédérale. Pour le Conseil des Etats, le changement a été incarné par une jeune femme de 31 ans, Johanna Gapany, qui sera la benjamine de la prochaine législature. Au final, deux poids lourds de la politique fribourgeoise restent sur le carreau, l’UDC Jean-François Rime et Beat Vonlanthen, qui ont le point commun d’être présents dans le paysage politique depuis longtemps: quatre législatures au National pour le premier, douze ans de gouvernement cantonal et quatre aux Etats pour le second.
Lire aussi: Jean-François Rime: «C’est la fin de ma carrière politique»
La non-réélection de Beat Vonlanthen interpelle. On a longtemps pensé que la minorité germanophone du canton, qui a dû attendre 1959 pour avoir son premier sénateur, se mobiliserait pour défendre son représentant à la Chambre haute. Et, traditionnellement, il se disait à Fribourg que «la Singine [district germanophone] était le premier parti du canton».
Vote identitaire faible
Le vote identitaire a été cependant moins fort que prévu. Dans sa Singine natale, Beat Vonlanthen arrive naturellement en tête. Mais le district affiche un taux de participation de 36,8%, légèrement inférieur à la moyenne cantonale (37,1%), alors que la participation en Gruyère, le district de Johanna Gapany, se monte à 41,3%. Surtout, la jeune PLR termine première, devançant même l’intouchable Christian Levrat, dans le district du Lac, qui comprend de nombreuses communes germanophones.
Pour aller plus loin: Le nouveau visage de Fribourg
Comment expliquer ce manque de mobilisation en comparaison du Valais, autre canton bilingue, où la minorité haut-valaisanne a fait bloc derrière son candidat PDC, Beat Rieder? «La situation est très différente, analyse Bernhard Altermatt. Le Haut-Valais est enclavé, très homogène. A Fribourg, ce sentiment d’appartenance est moins fort. La minorité germanophone est diverse: il y a la ville de Fribourg, bilingue, et son agglomération, la Singine plus rurale, et le Lac, plus protestant.»
Bernhard Altermatt constate une diminution de l’importance de la question de l’origine régionale dans un canton dont l’image de bastion conservateur est depuis longtemps éculée. Pour preuve, Fribourg sera dorénavant et pour la première fois représenté à Berne par une majorité de femmes.