Son inséparable vélo de course trône devant la porte d’entrée, signe que Gerhard Andrey est déjà là, pile à l’heure. Le lieu qu’il a choisi pour l’entretien ne doit rien au hasard: au bord de la Sarine, au cœur de la Basse-Ville de Fribourg, à la Gustav Académie, atelier alternatif pour jeunes musiciens qu’il a fondé il y a trois ans avec son pote de toujours, le chanteur Pascal Vonlanthen, alias Gustav. Le conseiller national préside l’association qui gère l’académie, un engagement qui mêle amitié et passion pour la musique.

Avant de créer la surprise le 20 octobre 2019 en devenant le premier Vert fribourgeois à siéger sous la coupole fédérale, Gerhard Andrey, 44 ans, a multiplié les expériences. Pour preuve, la clé qu’il garde toujours sur lui, celle de la menuiserie de son frère. Même si son nouveau mandat ne lui en laisse plus trop l’occasion, il aime savoir qu’il peut passer à n’importe quel moment pour travailler le bois. Lui le fils d’agriculteur d’un petit village de la Singine a entamé sa vie professionnelle par un CFC de menuisier et un diplôme d’ingénieur du bois décroché à la Haute Ecole spécialisée de Bienne.

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Mais très rapidement, l’informatique et les perspectives offertes par internet vont fasciner ce véritable geek, qui «débute par bricoler des petits sites web». En 2003, «sans plan de carrière», il cofonde à Fribourg la start-up Mediagonal, active dans le développement d’applications. C’est le début d’une incroyable success-story. Quatre ans plus tard, l’entreprise fusionne avec la société zurichoise Bitflux pour devenir Liip. La nouvelle entité compte alors 15 employés. Ils sont près de 180 actuellement, répartis entre Fribourg, Lausanne, Berne, Zurich et Saint-Gall.

Un management novateur

Référence dans le domaine, Liip truste depuis plusieurs années les prix économiques, notamment grâce à son management novateur, horizontal, qui casse les codes traditionnels de la hiérarchie d’entreprise. Surtout, la société se démarque en offrant un congé paternité de quatre semaines et facilite le temps partiel, tant pour les femmes que les hommes. Gerhard Andrey lui-même a toujours travaillé à 80% pour garder un jour par semaine pour s’occuper de ses deux enfants.

L’évolution de l’entreprise, qui se targue d’avoir un bilan carbone neutre, est également marquée du sceau de l’écologie. Aucun bureau ne compte la moindre place de parc; les abonnements de train sont subventionnés. «Le déplacement de nos collaboratrices et collaborateurs, entre leur domicile et leur lieu de travail, produit cinq fois moins de CO2 que la moyenne suisse», se félicite Gerhard Andrey, qui n’a jamais possédé de voiture.

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Le profil d’entrepreneur engagé va attirer l’attention des médias, en particulier outre-Sarine. Parfait bilingue, le Singinois est invité à plusieurs reprises à la télévision alémanique, qui lui ouvre même les portes de sa grande émission de débat, Arena. Il aime y jouer le rôle de l’aiguillon, bousculant ce qu’il appelle «l’économie mainstream»: «Avec Liip, nous avons démontré que l’on pouvait gérer une entreprise différemment tout en étant innovant et profitable.»

Occupé par sa famille et le développement de sa société, Gerhard Andrey va s’engager en politique sur le tard. En 2009, il devient membre du parti des Verts et entre au comité de la section fribourgeoise l’année suivante. Malgré différents mandats, il est encore méconnu du grand public romand quand il accède en 2016 à la vice-présidence des Verts suisses, en même temps que la Genevoise Lisa Mazzone. C’est un tournant.

Trois ans plus tard, l’homme se porte candidat aux élections fédérales. Il s’y lance à fond, même si les observateurs ne lui donnent que peu de chances. Pour beaucoup, Fribourg restera en marge de la vague verte. Ce fut une erreur d’appréciation. Les écologistes vont déjouer les pronostics et dépasser les 10% (12,46%). Et l’entrepreneur atypique de Granges-Paccot est élu aux dépens d’un des poids lourds de la politique fédérale, l’UDC Jean-François Rime, président de la puissante Union suisse des arts et métiers (USAM). Un séisme politique à l’échelle fribourgeoise, mais aussi un symbole.

Transparence des marchés

Aujourd’hui, celui qui n’a jamais eu de mandat électif auparavant découvre, «avec respect et conscience de ses responsabilités», le travail de parlementaire fédéral. Le Fribourgeois a déjà défini son principal cheval de bataille pour la législature: la transparence des marchés financiers. «Chaque citoyenne et citoyen devrait pouvoir connaître l’empreinte écologique de sa caisse de pension», plaide Gerhard Andrey. Membre du conseil d’administration de la Banque alternative depuis 2017, il sait la thématique ardue, mais essentielle. «Les placements du marché financier suisse polluent 20 fois plus que le pays tout entier», conclut-il.

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L’entretien terminé, il n’a pas le temps de traîner. Son train pour Berne part une quinzaine de minutes plus tard. Un salut, et le voici déjà enfourchant son vélo de course, filant à toute allure sur les pavés de la vieille ville.


Profil

1976 Naissance à Fribourg.

2000 Diplôme d’ingénieur à la Haute Ecole spécialisée bernoise.

2003 Création à Fribourg de sa première société active dans le domaine d’internet, Mediagonal, puis, en 2007, de Liip, née de la fusion de cette dernière avec l’entreprise zurichoise Bitflux.

2009 Adhésion au parti des Verts, puis coprésident des Verts suisses sept ans plus tard.

2019 Election au Conseil national.


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