Moins de délits
Tout n’est pourtant pas génial. La délinquance juvénile concerne des jeunes toujours plus jeunes, des garçons comme des filles. Présentées ce printemps, les statistiques 2016 de la criminalité répertorient près de 8000 infractions commises en Suisse par des mineurs âgés entre 10 et 17 ans. Jean-Bernard Siggen demande aux élèves quelles sont les «conneries» que peuvent commettre des mineurs. Dans l’ordre, ils citent: «Griffer des voitures, fumer, tuer des gens, se suicider, boire, voler, vendre de la drogue, taguer, insulter». Le chargé de prévention fait la moue ou acquiesce… avant de relativiser ce sombre tableau: les jeunes vont très bien. Jusqu’à l’âge de 12 ans, seul le 1% à maille à partir avec la police. Un pourcentage qui passe à 4% pour la catégorie 13-18 ans. Mais la tendance est à la baisse. Le nombre de prévenus mineurs a même carrément diminué de moitié depuis 2009.
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Les efforts de prévention paieraient-ils? C’est justement au début des années 2000, lorsque la délinquance juvénile faisait les gros titres de la presse, que le poste de Jean-Bernard Siggen a été créé. «Il y avait eu deux grosses affaires impliquant des mineurs dans le canton de Fribourg. Les autorités cantonales se sont alors penchées sur le problème et ont pris un certain nombre de mesures. Je suis la mesure numéro 2», explique-t-il.
La mesure No 2
La mesure no 2? Confier la prévention non pas à un policier mais à un enseignant. Un choix que la police fribourgeoise ne regrette pas. Parce qu’un enseignant est un meilleur pédagogue. Parce que les autres enseignants ont confiance en lui. Parce que la relation est différente. Et parce que Jean-Bernard Siggen est parfait dans son rôle, drôle et autoritaire en même temps.
En plus d’une carrière de 27 ans dans un cycle d’orientation fribourgeois, il s’est formé à la médiation scolaire. «Lorsque l’annonce a été publiée, mes collègues m’ont poussé à postuler mais j’étais réticent. Je ne me voyais pas entrer dans la police, je n’avais jamais postulé à nulle part et j’avais déjà 50 ans. Mais ça a fini par me titiller», raconte-t-il. Il passe tous les échelons de la sélection: «à la fin, nous n’étions plus que deux. Alors j’ai dit que je ne serai jamais un théoricien, que j’aurais ma propre méthode et que c’était à prendre ou à laisser».
Le 1er septembre 2005, Jean-Bernard Siggen s’installe à son nouveau bureau et il a carte blanche. Un bureau qu’il n’occupe pas beaucoup car il passe ses journées dans les écoles du canton. «Je ne suis pas policier. Je ne mène pas d’enquêtes. Je ne suis plus prof non plus et encore moins assistant social. En clair, je ne marche pas sur les plates-bandes des autres. Par contre, nous travaillons en réseau et dès que je vois qu’une situation n’est pas ou plus de ma compétence, je passe le flambeau».
Le chargé de prévention participe à des soirées de parents. Et il est parfois appelé pour des extras. «Lorsqu’il y a une ambiance détestable dans une classe, lorsqu’un enseignant est confronté à un problème qu’il ne parvient pas à résoudre seul, je peux être sollicité. Les parents aussi me contactent lorsqu’ils ont besoin d’un conseil», explique-t-il. Face aux élèves de l’école de Cormanon, il raconte par exemple son intervention dans une classe où de l’argent avait été volée dans le porte-monnaie de l’enseignante. «Toute la classe a été réunie. J’ai simplement dit que le coupable était dégueulasse. Qu’en se taisant, il laissait planer le soupçon sur tout le monde. A la fin de ma tirade, il y a eu quelques sanglots dans un coin. J’ai alors félicité cet enfant pour s’être dénoncé. Je lui ai aussi dit qu’il devait informer ses parents. Tout s’est bien terminé et il n’y a pas eu de plainte à la police. Je crois que la leçon a servi».
Mise en garde
Mais actuellement, c’est une tout autre épidémie qui affecte la jeunesse, liée à l’utilisation des réseaux sociaux. Une vraie plaie. Le harcèlement ne s’arrête plus aux murs de l’école. La victime est mise sous pression 24h/24. «Lorsque j’en parle, je constate régulièrement que certains l’ont vécu», nous confie-t-il. Il est plus précis quelques jours plus tard, au Cycle d’orientation de la Veveyse, à Châtel-St-Denis. Face à lui, vingt et un élèves, âgés de 15 ans en moyenne, savent exactement de quoi il parle. Tous ont un téléphone portable, sauf une personne. Tous voient défiler sur leur écran insultes et mauvaises blagues. Comme si ce n’était pas pour de vrai, mais juste pour charrier.
Face aux jeunes, Jean-Bernard Siggen est intraitable. Il dresse le schéma classique. Dans une classe, une personne devient le bouc-émissaire de deux ou trois élèves. Mais que font les autres? Rien. «Parce qu’ils ont peur d’être à la place de la victime. Ils ont peur des représailles». Le chargé de prévention parle de complicité muette. «Et ça fait mal». Alors de sa voix forte et de son autorité naturelle, il met la classe en garde: «Vous tous ici avez un sacré pouvoir, bien davantage que votre prof. Parce que vous pouvez semer la m… ou rendre les gens heureux». A Châtel-St-Denis, on entend les mouches voler et le message semble passer. Mais Jean-Bernard Siggen raconte qu’à une autre occasion, dix-sept jeunes sur vingt-quatre se sont effondrés. Parce qu’il y avait justement «une ambiance de m…».
Ce phénomène incite les polices à rester prudentes dans l’interprétation des statistiques de la criminalité. Car les résultats présentés en mars dernier montrent certes une diminution des délits commis par les jeunes. Mais pas dans tous les domaines. Ceux en lien avec internet explosent. Il y a le piratage mais aussi l’utilisation abusive de photos. Comment y faire face? Jean-Bernard Siggen va bientôt prendre sa retraite. Son successeur connaît les défis qui l’attendent.