Michel Simonet, cantonnier philosophe à Fribourg
Portrait
AbonnéDeux livres à succès ont fait de lui le «propreur» de la rue le plus connu de Suisse romande. Aujourd’hui, il fait le buzz à l’international avec une vidéo sur les réseaux sociaux. Son choix de vie tout en simplicité et en poésie inspire

La silhouette orange file sur la place Georges-Python, poussant son chariot brinquebalant. La fleur couleur carmin qui orne l’attelage ne laisse aucun doute. Il faut presser le pas pour rattraper celui que tout le monde ici appelle le «cantonnier à la rose», avant qu’il ne s’engouffre dans le dépôt de la voirie. La poignée de main se veut aussi ferme que chaleureuse. Michel Simonet a donné rendez-vous à la fin de son service. Il a passé la journée à nettoyer les rues de la vieille ville de Fribourg comme il le fait quotidiennement depuis trente-sept ans, jusqu’à devenir une des figures incontournables de la cité.
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Attablé quelques instants plus tard dans un bistrot renommé de la place, niché à l’arrière de l’évêché, Michel Simonet a gardé ses vêtements de service. Il a les traits burinés et les yeux aussi clairs que profonds. Sa voix est calme, le propos pudique. La notoriété ne semble pas avoir changé cet homme introverti. En 2015, son autobiographie, Une Rose et un balai, fut pourtant un phénomène en librairie, vendu à plus de 50 000 exemplaires, inspirant une chanson et une pièce de théâtre. Ce premier livre sera suivi par un deuxième en 2021, Un Couple et sept couffins, où il raconte sa vie de père d’une famille nombreuse.
Comme on entre dans les ordres
Aujourd’hui, le Fribourgeois connaît une petite renommée internationale, grâce à une vidéo (ci-dessous) réalisée par un photographe et postée sur les réseaux sociaux. C’est le buzz. Des demandes arrivent chez son éditeur, Faim de siècle, pour des traductions en anglais ou en japonais. «Dans ce petit film, j’explique juste l’origine de la rose que je mets sur mon chariot: un peu de beauté pour contrebalancer la laideur des déchets qui s’y trouvent», s’étonne Michel Simonet, surpris que son parcours touche autant. Un parcours tout en simplicité, presque poétique, qui raconte un homme solitaire et réservé devenu cantonnier comme on entre dans les ordres.
Cette histoire commence en 1961. Michel Simonet naît à Zurich, où son père a trouvé du travail dans le domaine des assurances. Fils d’un catholique alémanique et d’une protestante francophone, il est un concentré de ce canton patchwork qu’est Fribourg. Après un retour à Morat, la famille s’installe en ville de Fribourg alors qu’il est âgé de 8 ans. Il ne quittera plus la cité des Zähringen, vivant aujourd’hui dans le quartier populaire et multiculturel du Schönberg.
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Après son diplôme à l’Ecole de commerce du Collège Saint-Michel, le jeune homme devient comptable dans une station de radio œcuménique. Mais cette vie de bureau ne lui suffit pas, il entreprend des études de théologie à l’Ecole de la Foi. «L’institution a été fondée par un prêtre-ouvrier, Jacques Lœw», précise Michel Simonet, comme un signe.
C’est durant ce cursus que l’avenir du Fribourgeois va se dessiner. Il y fait une «rencontre marquante», celle d’une fraternité dont les membres vivent simplement dans les bidonvilles à travers le monde, au cœur des gens, apportant leur aide sans faire de prosélytisme. Dans un même temps, pour financer ses études, Michel Simonet travaille à la voirie de la ville de Fribourg. Le job d’été deviendra une vocation. «C’est un métier qui n’attire pas mais qui retient», glisse-t-il. En 1986, il demande à être engagé en fixe, à la surprise de la direction. Il n’a jamais regretté son choix.
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Depuis l’«opérateur écologique», le «propreur» ou le «déchétarien», comme il se désigne, arpente les rues de Fribourg au service de la communauté. Il aime travailler en plein air, «les mains occupées, mais la tête libre». Pour Michel Simonet, comme pour l’écrivain valaisan Maurice Chappaz qu’il aime citer, «marcher et penser, c’est la même chose».
Il a d’abord œuvré dans le quartier de la gare, avant de passer au cœur historique du Bourg. Durant toutes ses années, il a vécu au rythme de la ville, côtoyant les toxicomanes des Grand-Places ou ramassant les déchets des supporters de Gottéron les lendemains de victoire. Il se souvient avec émotion de ce sans-abri qui insistait pour lui offrir des étrennes – une pièce de 5 francs – qu’il a acceptées afin de rendre à «cet homme qui ne possédait rien» un peu de dignité.
Lecteur assidu
Finalement, quand on lui demande s’il se sent plutôt cantonnier ou philosophe, Michel Simonet répond qu’il préfère le mot d’ouvrier. «Ce monde m’a accueilli, alors que je n’étais pas des leurs», relève le Fribourgeois. Il apprécie ces relations directes et franches. «Les gens sont durs au mal et solidaires», poursuit-il, conscient qu’il détonne parmi eux.
Lui, le lecteur assidu d’Albert Cohen, Nicolas Bouvier ou Marguerite Yourcenar, lui qui lit le latin et le grec ancien, passionné de chant byzantin. Il est soliste à la cathédrale Saint-Nicolas, le dimanche soir, pour les messes de l’évêque, Charles Morerod. «Alors que la semaine, je nettoie devant sa porte», sourit Michel Simonet. Il se voit comme «un lien entre le clochard et le conseiller d’Etat»; un de ces derniers vient d’ailleurs de l’inviter à manger. Un lien en forme de rose et d’un chariot brinquebalant.
Profil
1961 Naissance le 12 février à Zurich.
1984 Mariage avec Claudine. Ils auront sept enfants.
1986 Devient balayeur à la ville de Fribourg.
2015 Premier livre: «Une Rose et un balai» (Ed. Faim de siècle).
2021 Deuxième livre: «Un Couple et sept couffins» (ibid.).
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