Magnanime, le Conseil fédéral a annoncé la semaine dernière qu’en cas de pénurie de gaz, la température plancher dans les bâtiments serait de 20 °C et non pas de 19 °C, comme échafaudé précédemment. Ce degré ne change rien au problème de fond: les instruments pour connaître la température des logements et bureaux font cruellement défaut en Suisse. Le thermostat donne bien une indication de l’activité des chaudières, donc de la température des tuyaux. Mais c’est à peu près la seule donnée qui existe. Ce sera court, au moment de décider qui est hors la loi.

«Il faudra une application souple de cette ordonnance, souligne Philippe Nantermod, conseiller national PLR et président de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI). Il est hors de question de créer une police de la température. Si l’on veut atteindre 20 °C, il faut comprendre que dans certains logements, il faudra pousser à 21 °C, voire 22 °C, car entre le rez-de-chaussée et le 5e étage, il peut y avoir des différences. Sans cette souplesse, le risque de mesures pour défaut de la chose louée est grand.»

Tests et thermomètres

C’est bien l’enjeu: la jurisprudence spécifie qu’en dessous de 19 °C, le locataire peut se retourner contre son bailleur pour «défaut de la chose louée». L’Association suisse des locataires (Asloca) l’a d’ailleurs rappelé dans le débat. Carlo Sommaruga, son président et conseiller aux Etats socialiste: «Je ne crois pas qu’il y aura des demandes massives de personnes se tournant vers les tribunaux. Des cas particuliers pourront certainement surgir. Ce qui est important, c’est de ne pas traiter les locataires comme des irresponsables. Je les invite à acheter des thermomètres et à faire des tests chez eux avec le thermostat. Les baisses interviendront uniquement dans la dernière extrémité, en cas de pénurie. Les locataires participeront à l’effort national. Mais ce n’est pas à la régie d’imposer une température pour tout un immeuble de manière aveugle.»

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Des instruments pour pacifier la situation et éviter que la crise énergétique ne se transforme en imbroglio juridique, il en existe pourtant. «Ce qui est dommage, c’est que le Conseil fédéral ignore qu’il n’est pas nécessaire d’aller à 20 °C pour faire des économies», lance Antoine Eddé. Cet entrepreneur basé à Givisiez, dans le canton de Fribourg, a développé une technologie qui permet de déterminer la température dans les appartements et d’intervenir sur la chaudière en conséquence, sans intervention humaine. Le tout à l’aide de capteurs et d’intelligence artificielle.

Ecco2, sa société, a placé 11 000 capteurs en Suisse, pour 1,6 million de mètres carrés. Chaque jour, 6 millions de données nourrissent un système qui permet de faire en moyenne 15% d’économies en énergie. Un grand assureur vient de confier son parc immobilier à l’entreprise fribourgeoise.

Les Suisses surchauffent

La température moyenne mesurée par ces capteurs est de 23,35 °C. Les Suisses surchauffent donc leurs logements. Une baisse à 22 °C ou à 21 °C permettrait déjà des économies substantielles. Autre donnée: 52% du parc observé n’est pas homogène. L’exposition au soleil crée des disparités entre habitants, au point de susciter des «jalousies basées sur l’énergie», résume Antoine Eddé. «Ma crainte est que, si une baisse est décrétée, la discussion entre locataires se muscle, vu que le prix de l’énergie va sérieusement impacter les économies domestiques», dit l’entrepreneur.

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Fort d’une solution, Antoine Eddé s’est senti poussé à réunir l’USPI et l’Asloca afin d’éviter le clash. Pour l’heure sans succès. «J’ai répondu favorablement, j’ai même proposé des dates», fait savoir Philippe Nantermod. De son côté, Carlo Sommaruga parle d’une «initiative personnelle» et de «démarche commerciale». «Je préfère encourager le dialogue de terrain, entre régies et locataires, dit-il. Certaines ont adopté des démarches autoritaires en annonçant des hausses d’acomptes pour le chauffage. Je salue celles qui ont eu des approches différentes, en demandant l’accord des locataires en vue d’éventuelles hausses.»