Une grande nervosité règne au sein de l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF) à trois semaines de la votation sur l’agence Frontex. Ce lundi matin 25 avril, celui-ci a communiqué au Temps qu’il «n’autorisait plus» un portrait consacré à un garde-frontière genevois. Il a pris cette décision «pour des raisons de sécurité, dans le but de ne pas exposer des collaborateurs dans le cadre de la votation du 15 mai».

Ce jour-là, le peuple suisse devra se prononcer sur un «développement de l’acquis de Schengen», comme le nomme la brochure de votation dont les quinze pages passent comme chat sur braise – à six lignes près – sur la principale question qui fâche: en participant à Frontex, la Suisse renforce-t-elle la protection des droits fondamentaux des migrants ou ne se fait-elle pas la complice des corps nationaux de garde-frontières – notamment celui des Grecs – qui n’hésitent pas à les refouler sans scrupules?

Manque de transparence

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas facile d’obtenir une réponse à cette question. Le Temps a déjà résumé les enjeux du scrutin dans un premier article paru ce dimanche sur le site web et ce lundi dans sa version papier. Mais nous avions aussi demandé une interview de Marco Benz, vice-directeur de l’OFDF et membre du Conseil d’administration pour lui soumettre les critiques faites à Frontex, notamment à propos de cas de violations des droits humains. Cette interview a été refusée, au Temps comme à d’autres médias, au motif que c’est au Conseil fédéral de mener la campagne.

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Le grand public ignorant tout des activités d’un agent Frontex, il restait une troisième démarche, qui consistait à faire le portrait d’un garde-frontière suisse engagé dans le terrain. L’OFDF a validé la demande – non sans faire signer au journaliste et au photographe une «déclaration relative à l’obligation de garder le secret». Jeudi 21 avril, Le Temps a rencontré un garde-frontière genevois qui n’a pas ménagé son temps pour parler des huit missions qu’il a effectuées pour Frontex, que ce soit comme «chargé d’auditions des migrants», conseiller en fraude documentaire ou agent de surveillance à la frontière gréco-turque.

L’entretien s’est déroulé dans un climat de confiance mutuelle remarquable, compte tenu du contexte politique tendu. Très ouvert au dialogue, le collaborateur de l’OFDF est arrivé en sortant sa «bible», une petite brochure d’une vingtaine de pages qui lui sert de code de déontologie dans ses activités. «Les migrants ne sont pas des délinquants, mais des gens qui fuient une situation de détresse», a-t-il souligné à plusieurs reprises.

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L’article écrit, Le Temps a soumis ses citations au garde-frontière, une procédure qui n’a pas posé de problèmes. L’écueil a surgi ce week-end. Dans un premier temps, vendredi matin, quelques dizaines d’activistes favorables à la suppression de l’agence Frontex ont bloqué durant une petite heure l’accès au siège de l’OFDF à la Monbijoustrasse à Berne. Ils y ont déployé une grande banderole affirmant: «Frontex tue et l’OFDF s’en rend complice.» Et ce samedi, un millier d’opposants issus de 80 organisations de la société civile ont aussi défilé à Berne pour dénoncer la hausse de la contribution suisse à Frontex, qui passera de 24 millions aujourd’hui à 61 millions en 2027. Aux yeux de l’OFDF, c’en était trop. «La situation a changé», estime-t-il. L’Office fédéral invoque la «sécurité de ses collaborateurs» pour censurer le papier du Temps.

Ueli Maurer pas impliqué

La décision de ne pas autoriser le portrait du garde-frontière genevois a été prise au niveau de l’OFDF, et non à l’échelon de son responsable politique, à savoir le ministre des Finances Ueli Maurer, précise le chef de sa communication Peter Minder. «La protection de nos collaborateurs est un souci majeur pour nous. Nous sommes devenus plus prudents», relève-t-il.

Le manque de transparence et la nervosité de l’OFDF sont d’autant plus surprenants que la votation du 15 mai semble très bien partie pour le Conseil fédéral, dont la campagne est menée conjointement par Ueli Maurer et Karin Keller-Sutter. Le deuxième sondage des journaux de Tamedia indique que le oui est en progression: 61% d’opinions favorables ou plutôt favorables contre seulement 32% de non. C’est probablement dû à l’engagement d’Ueli Maurer pour le oui lors de l’assemblée des délégués de l’UDC, dont la base du parti reste pourtant très divisée.