Forum des 100, édition 2018: Réinventer la mobilité

Comment combiner les différents modes de transports? Qu’apporte la digitalisation? Dans quelles infrastructures investir? Le Forum des 100 organisé par «Le Temps» le 24 mai prochain porte sur ces questions. Comme la série d’articles publiés en amont de l’événement. Pour tous renseignements: forumdes100@letemps.ch

La vallée de la Muota, au fond du canton de Schwyz, est profondément conservatrice. L’UDC et le PDC y règnent en maîtres et seigneurs depuis toujours, les traditions folkloriques et musicales y sont solidement ancrées, les oracles météorologiques des clans Horat et Holdener sont réputés loin à la ronde et la fierté touristique locale est la grotte du Hölloch.

C’est toutefois pour une autre raison qu’Ivan Steiner, responsable touristique de la région, attend avec impatience, et non sans une certaine appréhension, l’arrivée de la saison estivale. Il sait que la région va être prise d’assaut. Non pas pour visiter la grotte ou consulter les grenouilles prophétiques locales. Mais pour emprunter le nouveau funiculaire high-tech, ultrarapide et ultraraide qui relie la vallée au plateau de Stoos, situé à 1300 mètres d’altitude.

La tragédie de Kaprun

Peuplé à l’année par 150 habitants, le hameau est surtout fréquenté par les touristes. Plus de 2200 lits sont disponibles. Ses pistes de ski sont renommées en Suisse centrale, le panorama du Fronalpstock, 600 mètres plus haut, est éblouissant. L’endroit est inaccessible en voiture. On ne peut y grimper que par un téléphérique partant de Morschach, au bord du lac des Quatre-Cantons, ou par un funiculaire construit en 1933, dont la station inférieure se situe dans la gorge de la Muota.

Mais ce train de montagne construit en 1933 a vécu. Sa concession arrive à échéance à la fin de l’année. Elle n’a pas été renouvelée. Pour raison de sécurité. En plus du transport de personnes, ce funiculaire ravitaille aussi la station. Or la plateforme destinée aux marchandises et aux déchets à évacuer se trouvait en contrebas des cabines. Or, depuis le dramatique accident de Kaprun, ce n’est plus autorisé. Le 11 novembre 2000, 155 personnes ont péri dans ce tunnel autrichien, asphyxiées par les fumées ascendantes provoquées par un incendie. Depuis cette tragédie, les plateformes réservées aux marchandises doivent être installées en amont des cabines.

Un buzz mondial, mais une facture lourde

La décision a ainsi été prise de construire une toute nouvelle installation, 300 mètres plus haut dans la vallée. Les premières études ont été lancées en 2004. Il a fallu gagner neuf votes communaux et cantonaux. Le premier coup de pioche a été donné en 2012. Cinq ans plus tard, le 17 décembre 2017, le nouveau funiculaire a été inauguré en présence de Doris Leuthard. Il a fait le buzz dans le monde entier.

Parce que la solution qui a été retenue est aussi spectaculaire que révolutionnaire. Le tracé présente de fortes différences de déclivité. Les stations supérieure et inférieure sont horizontales, mais les trains automatisés doivent franchir un secteur dont la pente atteint 110% (47 degrés), ce qui constitue un record pour ce type de véhicule. Mais la médaille a son revers: le coût estimé actuel de 52 millions sera dépassé. La facture exacte sera communiquée en septembre.

Le constructeur Garaventa, qui fait partie du groupe austro-suisse Doppelmayr, a opté pour une technique qu’il avait déjà expérimentée avec le Fun’ambule imaginé pour Expo.02 à Neuchâtel. Les compartiments ne sont pas fixes, mais mobiles et s’adaptent automatiquement aux variations d’inclinaison. Ceux du Fun’ambule sont articulés et suspendus à la structure de la voiture. A Stoos, ils sont maintenus horizontaux en permanence grâce à un jeu de vérins hydrauliques. A l’arrêt, les quatre compartiments aux allures de capsules spatiales sont juxtaposés l’une à côté de l’autre. A la montée, elles coulissent et se superposent l’une sur l’autre. Comme ces quatre cabines de 34 personnes chacune sont de couleur jaune et de forme ronde, l’effet visuel est saisissant.

Succès touristique assuré

Les deux véhicules peuvent se déplacer jusqu’à 10 mètres par seconde. Voici quelques jours, Le Temps a eu l’occasion d’effectuer une descente test à cette vitesse. Distantes de 1700 mètres, les deux stations peuvent ainsi être reliées à moins de trois minutes!

Ce changement de technologie et d’époque, ainsi que le tracé spectaculaire, promettent d’être un beau succès touristique. «Nous avons observé une hausse de la fréquentation de 30% cet hiver et je suis curieux de voir le monde qui va venir en été. Nous nous laisserons surprendre et serons prêts à accueillir les randonneurs comme les simples curieux», commente Ivan Steiner. Des parkings sont en construction à proximité de la station inférieure, qui bénéficie d’un arrêt de bus sur la ligne desservant la vallée.

Le village de Stoos se prépare, lui aussi, à une nouvelle jeunesse. L’ancienne gare supérieure sera transformée en logements. Un nouvel hôtel de 300 lits prendra la place d’un ancien qui sera détruit. Plusieurs établissements publics seront rénovés. Et la vie des habitants, souvent âgés à l’image d’Edith et Karl Odermatt, qui, à 98 et 97 ans, ne pensaient pas voir le nouveau funiculaire de leur vivant, promet d’être plus animée.