Pouvoir voter. Pas seulement parler de sujets politiques à l’école, avec ses amis, en famille autour du repas du soir. Mais pouvoir aller jusqu’au bout de ses idées et donner son avis dans les urnes. Si Gabriel Oliveira Da Silva souhaite devenir suisse, c’est avant tout pour cette raison. Et parce qu'il se sent suisse, bien qu'il ait un passeport portugais. Si la naturalisation facilitée des jeunes étrangers de 3e génération est acceptée le 12 février en votation, il compte faire usage de la nouvelle procédure, moins chère et plus simple qu'auparavant. 

A 19 ans, après une maturité aux accents scientifiques obtenue au collège Sismondi, à Genève, Gabriel Oliveira Da Silva est entré à l’EPFL en génie civil. Il vient de passer sa première salve d'examens et se montre confiant dans les résultats: il peut prendre quelques jours de vacances le coeur léger. L'étudiant incarne l’intégration réussie d’une famille, dont le grand-père portugais est arrivé en Suisse dans les années 60 et dont le père a passé toute sa vie ici; il a le profil type des jeunes qui pourraient bénéficier d'une naturalisation simplifiée.

Ascenseur social

Pour cette famille, l’ascenseur social a parfaitement fonctionné: le grand-père travaillait dans l’agriculture et ne possédait aucun diplôme; le père de Gabriel est titulaire d’un CFC en menuiserie et ébénisterie, lui-même vise le diplôme d’une haute école. Le tout assorti d'une filiation professionnelle entre le choix du fils et le métier du père: «Comme lui, j’aime le bois, les constructions dans ce matériau. Enfant, j’allais souvent bricoler dans son atelier.» 

«Mon père se considère plus suisse que portugais, il a même un léger accent français quand il parle sa langue maternelle», raconte son fils, bilingue également. «Pendant longtemps, posséder un papier d’identité l’attestant n’était pas si important. Aujourd’hui, c’est différent: les frontières se ferment et le marché du travail est sans doute plus facile quand on possède la nationalité suisse.»

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 Il y a quelques années, en songeant à l’avenir de ses enfants, le père de Gabriel avait entamé une procédure de naturalisation pour l’ensemble de sa famille, lui-même, sa femme, ses deux fils. Mais il a arrêté en cours de route, dégoûté d’apprendre qu’il devrait subir des tests de géographie, d’histoire et de politique: «Il était vexé de devoir en passer par là, alors qu’il a fait toute sa scolarité en Suisse, qu’il travaille ici depuis si longtemps, qu’il a fait partie d’associations locales depuis son adolescence, que toute sa vie est ici. Il suit les débats politiques et, dans les locaux de l’administration où il a dû se rendre, il avait même fait remarquer que la photo du Conseil fédéral affichée au mur n’était plus la bonne!» Entre le sentiment que la Suisse ne voulait pas de lui et les milliers de francs à débourser pour les papiers, il a laissé tombé. Sur l’ensemble de la fratrie paternelle, composée de trois fils et de deux filles, certains sont devenus suisses, comme sa tante, Suzanne Da Silva-Barthassat, active en politique à Carouge, pour le PDC, d’autres pas, comme l’un de ses oncles qui possède une entreprise de peinture.

Une vie ancrée à Versoix

Se naturaliser? Le grand-père de Gabriel ne voulait pas en entendre parler. «Cela avait été très dur pour lui avec son premier employeur, un paysan dans une ferme d’Yverdon, et il en avait conçu un ressentiment. Il pensait que quand on était né Portugais, on restait Portugais», raconte son petit-fils. Arrivé dans les années 60, le grand-père a fait de nombreux aller-retours entre les deux pays, avant de s’installer définitivement en Suisse au début des années 70 et de s’ancrer à Versoix, dans le canton de Genève, où il a longtemps travaillé dans une imprimerie, sa femme faisant le ménage dans une école. «Il s’est installé ici car il voulait donner le maximum de possibilités s’ouvrent à ses enfants, mais il rentrait au Portugal à chaque vacances et rêvait d’y passer sa retraite.»

Son fils, le père de Gabriel, est arrivé en Suisse à 4 ans, il y a suivi toute sa scolarité: «Mes parents n’ont jamais quitté Versoix. Au cycle des Colombières, certains de mes profs avaient déjà eu mon père comme élève.» Rencontrée au Portugal, la mère de Gabriel a suivi son mari en Suisse à l’âge de 19 ans, en 1989. Elle aussi travaille, dans une crèche.  

25000 jeunes concernés

Selon les statistiques du Secrétariat d’Etat aux migrations, sur les 25 000 jeunes étrangers de 3e génération qui pourraient bénéficier de la naturalisation facilitée, l’écrasante majorité est née dans une famille dont les grands-parents ont immigré en Suisse pour travailler et 78,6% d’entre eux possèdent la nationalité d’un pays membre de l’UE ou de l’AELE. Au total, 58% sont de nationalité italienne, 7,7% de nationalité espagnole et 4,8% Portugais.

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Bien qu’il possède un passeport de ce pays, Gabriel se sent suisse comme son père: «Ma vie, mes racines, mes amis sont ici, j’ai été à l’école ici. Je fais du foot à Versoix depuis tout petit. En famille, nous parlons même français entre nous lorsque nous allons voir mes grands-mères au Portugal!» Si un non l'emportait dimanche, comme lors de scrutins précédents, Gabriel le prendrait comme une humiliation. Mais il ne baissera sans doute pas les bras et demandera quand même le passeport suisse. Quant aux affiches du comité du non proche de l’UDC montrant une femme en niqab, il refuse d’en parler: «Des amalgames pareils, cela ne vaut même pas la peine d’en discuter».

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